Sade et le sadisme dans la psychiatrie allemande

 

1. Richard von Krafft-Ebing et Albert Moll

Voici la première définition du sadisme comme perversion, Anomalie der Geschlechtstrieb (anomalie des pulsions de reproduction) : 

 

On peut dire d’une personne qu’elle manifeste du sadisme si, pour obtenir une excitation sexuelle et parvenir à l’orgasme, elle doit commettre, se figurer, accomplir, ou regarder, ou imaginer d’autres êtres vivants faire au moins l’une des actions suivantes : effrayer, terroriser ; humilier, souiller ; dominer, soumettre complètement ; maltraiter physiquement, martyriser ou tuer des êtres humains ou des animaux[1].

 

Krafft-Ebing décrit huit formes de sadisme (assassinat par volupté, nécrophilie, mauvais traitement infligés aux femmes, le penchant à souiller les femmes, le sadisme symbolique, portant sur enfants, sur les animaux et enfin le sadisme chez la femme). Il le définit (comme le masochisme) en tant que perversion parce que contraire à la procréation.

Né en 1840 donc exactement cent ans après Sade, médecin de l’asile d’Illenau puis  à Vienne en 1889, l est considéré comme le premier à avoir décrit des troubles de la vie sexuelle dans son célèbre ouvrage Psychopathia sexualis dès 1886 et comme le cofondateur d’une nouvelle discipline, la science de la sexualité ou « sexologie » en Allemagne en même temps C’est Iwan Bloch en 1907 qui  crée le terme Sexualwissenschaft  et sera employé en France en 1911. En 1913 Albert Eulenburg, Magnus Hirschfeld et Iwan Bloch fonde la Ärzliche Gesellschaft für Sexualwissenschaft und Eugenik. Psychopathia sexualis est un corpus complexe d’observations médicales (Beobachtungen) présentées sous forme taxinomique avec une théorisation. Il existe de nombreuses éditions du vivant de Krafft-Ebing, mort en 1902, de plus en plus enrichies : partant de 45 observations en 1886, la huitième édition de 1893 est considérée comme la dernière version pure de Krafft -Ebing avec 60 observations. Les éditions suivantes sont des partitions à plusieurs voix et comporteront 447 observations dont 230 d’Albert Moll. Donc cette œuvre couvre de 1886 à 1924 une large période charnière de l’histoire de la médecine de l’âme, avec effondrement de la psychiatrie  classique organique et génétique et la découverte de la psychanalyse freudienne[2].En fait il existe une toute première Psychopathia sexualis datant de 1844, écrite en latin par un médecin viennois d’origine russe Heinrich Kaan, publiée à Leipzig, et curieusement passée sous silence par Krafft-Ebing. C’est donc entre 1844 et 1886, en quatre décennies,  que va se constituer la première sexologie qu’André Béjin appelle « proto-sexologie[3] », plus soucieuse de nosographie, de psychopathologie que de thérapeutique, et surtout axée sur le lien entre les dégénérescences et les aberrations sexuelles, et l’eugénisme, néologisme inventé par un cousin de Darwin, Galton,  en 1883 interrogeant sur le « bien naître », la génétique et la sélection naturelle. Cette première sexologie a été considérée par Michel Foucault[4], et dans une thèse d’Irène Cagneau[5] comme un passage de la casuistique à la médecine, de la confession auriculaire à la médecine de l’âme, un déplacement avec une médicalisation de l’aveu et des péchés,  et ayant pour corollaire ainsi un grand archivage des pratiques sexuelles. Les interrogatoires, consultations, récits autobiographiques, lettres sont ainsi transcrits, classés, répertoriés en dossiers, commentés. Là où le christianisme interprétait la volupté érotique comme un péché, certains égarements sexuels (Verirrungen) sont ainsi interprétés comme des perversions et des maladies.  On peut donc voir Psychopathia sexualis comme un petit catéchisme des perversions à l’usage des médecins, et des experts judiciaires. L’ouvrage de Krafft-Ebing annonce en effet d’emblée la couleur dès le titre : « Étude médico-légale à l’usage des médecins et des juristes ». Psychiatre expert en médecine légale, Krafft-Ebing utilise d’ailleurs un titre latin et évite la langue vulgaire pour les passages choquants, pour ne pas inciter les profanes à la lecture des descriptions de perversions. Si cet ouvrage a permis une avancée scientifique dans la description de la vie sexuelle par le biais de la pathologie, c’est que le médecin peut et doit « tout voir et tout dire ». Krafft-Ebing écrit :

 

C’est le triste privilège de la médecine et spécialement de la psychiatrie de devoir étudier sans cesse l’envers de la vie (Kehrseite des Lebens), la faiblesse et la misère humaine[6].

 

Tout voir, tout dire sur la sexualité, c’est ce que Sade a fait. Il ne fut pas effrayé, comme ne doit pas l’être un scientifique, par la misère humaine et la complexité de la psyché. Certes la démarche est bien sûr autre : le catalogage de tous les fantasmes sert à choisir sans risque d’omission et de découvrir ainsi ses désirs. Mais tout dire aussi en conservant un peu de «  gaze » qui permet à l’imagination de fantasmer. Psychopathia sexualis a suscité à l’époque de violentes critiques. Karl Hauer, dans la Revue die Fackel  (la torche, le flambeau) de 1906, a même souligné le « dilettantisme » des travaux de Krafft-Ebing qu’il considérait comme un « vulgaire systématicien », par rapport aux géniales inventions littéraires de Sade :

 

Sade est un fabuleux psychologue des passions, il les connaissait toutes, même les élans  les plus secrets et inavoués dont est capable le cœur humain dans sa bassesse, et sans ménager son lecteur, il perça à jour les tréfonds, la bourbe de l’âme chrétienne (Schlamm der christlichen Seele)[7].

 

Krafft-Ebing a même été traité de « pseudo-scientifique » qui n’a fait que perpétuer le jésuitisme, interdisant l’accès aux plaisirs spontanés des sens.

Sade apparait dans l’édition de 1893 de Psychopathia sexualis, traduite en français en 1895, non pas dans une observation, mais dans une note concernant la  définition du sadisme, dans laquelle Krafft-Ebing fait une allusion lapidaire et très moralisante à Sade, employant ensuite  le mot de Sadist –sadiste- et non sadique.

 

Le mot sadisme est ainsi nommé d’après le mal famé / décrié / tristement célèbre  (Berüchtigten) Marquis de Sade dont les romans obscènes (obszöne) sont pleins  /ruisselants /dégoulinants (triefen) de volupté (Wollust) et de cruauté (Grausamkeit). Dans la littérature française le mot sadisme est devenu courant pour cette perversion[8].

 

Krafft-Ebing développe ensuite une théorisation psycho-pathologique du sadisme basée à la fois sur la physiologie de l’excitation neuromusculaire et d’un trouble de la volonté, qui ne peut trouver de solution de décharge à son excitation qu’en faisant du mal à l’autre.

 

Le sadisme n’est donc qu’une exagération (Steigerung) pathologique de certains phénomènes accessoires de la vie sexuelle qui peuvent se produire dans des circonstances normales surtout chez le mâle. Naturellement il n’est pas du tout nécessaire et ce n’est pas la règle que le sadiste ait conscience de ces éléments de son penchant[9].

 

Dans l’édition de 1923, traduite en français en 1931, Albert Moll ajoute un portrait de Sade, lui-aussi très lapidaire :

 

Marquis de Sade (1740-1814) d’après qui la perversion « sadisme » a reçu son nom. Ses deux principaux romans, Justine et Juliette, parurent dans les dernières années du XVIIIᵉ siècle. Ces romans ainsi que d’autres publications de lui sont pleins de scènes qui présentent le mélange de cruauté et de volupté ; mais de nombreuses perversités d’autres sortes s’y rencontrent aussi. Les originaux des principales figures, Justine et Juliette, auraient été la femme et la sœur de celle-ci. Sade lui-même, qui avait fait comme jeune officier la Guerre de Sept ans contre la Prusse, mourut en 1814 à l’asile de Charenton[10].

 

La nosographie de Krafft-Ebing est la suivante: les paradoxies (instinct sexuel en dehors de l’âge normal donc des enfants et des vieillards), les anesthésies ou hypoesthésies (impuissance et frigidité) et les hyperesthésies (satyriasis et nymphomanie)  et les véritables perversions « les paresthésies » où l’instinct sexuel n’a pas pour but la conservation de l’espèce. Krafft-Ebing va aussi utiliser Anomalien der Geschlechtstrieb dont la traduction littérale serait « anomalies des pulsions de reproduction de l’espèce ».

La première phrase de Krafft-Ebing du premier chapitre Fragments d’une psychologie de la vie sexuelle préfigure la définition des paresthésies, est moralisante mais pas seulement :

 

La perpétuité de l’espèce humaine n’est pas laissée au hasard ni au caprice des individus : un instinct naturel la garantit et  réclame impérieusement satisfaction. Celle-ci ne procure pas seulement une jouissance des sens et les sources d’un bien-être physique mais encore une autre satisfaction plus élevée, qui est de continuer notre propre existence passagère en de nouveaux êtres, […] Et ces sentiments plus hauts et plus nobles, qui malgré leur origine sensuelle, lui ouvrent un monde du beau, du sublime  (des Erhabenen) et de grandeur morale[11].

 

Cette première assertion est importante car on peut y voir d’emblée posés les quatre enjeux de la pulsion sexuelle : la jouissance, la procréation, l’éthique et la sublimation. En effet définie comme un instinct animal, elle procure la jouissance physique purement voluptueuse et au-delà de la volonté; comme un instinct naturel humain elle garantit la survie de l’espèce humaine ; mais « malgré l’origine sensuelle », elle est source de grandeur morale, et point important et nouveau, aussi d’élévation vers le beau et le sublime. Plus loin, Krafft-Ebing précisera que toute éthique et peut-être une bonne partie de l’esthétique et de la religion prennent leur origine dans la présence des sensations sexuelles. Et il ira même encore  plus loin dans le lien entre volupté, cruauté (donc le sadisme) et religion et esthétique. Dans le fanatisme religieux, l’exaltation peut mener à jouir ou du moins se réjouir (joie) du sacrifice d’autrui, lorsque que la pitié est surpassée par la jouissance religieuse. Dans l’état passionnel  sexuel, le sadomasochisme est une jouissance de la cruauté. Le facteur sexuel ne se montre enfin pas moins riche d’influence sur l’éveil des sentiments esthétiques.

Georges Lanteri-Laura, psychiatre et philosophie, a proposé une analyse assez sadienne  des a /hypo/hyper et paresthésies de la nosographie krafft-ebingienne[12]. Il a choisi les quatre axes sémantiques bipolaires suivants : fécondité versus stérilité ; plaisir versus absence de plaisir ; normal versus pathologique, grotesque versus monstrueux. Ces asymétries nous montrent que l’axe sémantique de l’ « hyper » et du « a » est celui non de la jouissance mais de la conservation de l’espèce, et que la jouissance n’est pas nécessaire à la procréation qui peut s’accomplir même si l’homme jouit peu et la femme pas du tout. La reproduction n’excuse finalement qu’une petite partie du plaisir, le reste demeure sans justification biologique et le surplus de plaisir (difficilement mesurable) est scientifiquement une perversion. L’axe « para » des paresthésies ou perversions est celui de la jouissance dans la mesure où elle exclut la conservation de l’espèce. La perversion est donc placée par Krafft-Ebing du côté de la stérilité, du plaisir, et de la pathologie. Un certain nombre de perversions sont décrites comme ridicules, en tant que mises en scène de théâtre, exhibition de la cruauté du sadique et de la souffrance du masochiste, ou des accessoires de comédie des fétiches Le passage au monstrueux se fait aux chapitres pédophilie, gérontophilie, zoophilie, puis avec la nécrophilie et les crimes sexuels, c’est-à-dire que la tératologie touche  la deshumanisation et de la mort.

Albert Moll développe deux concepts particulièrement intéressants distinguant attraction (Enziehung)et stimulation (Erregung) qu’il nomme Kontrektationstrieb (ou pulsion de contact) et Entladungstrieb (ou pulsion de décharge ou détumescence). Freud reconnait lui avoir emprunté le terme de libido dans Untersuchungen über die Libido sexualis[13] de 1898.

2. Iwan Bloch ou Eugen Dühren

Le psychiatre berlinois Iwan Bloch a publié Le marquis de Sade et son temps en 1901 sous le pseudo du Dr. Eugen Dühren, en 1903 sous le pseudo du Dr. Veriphantor quatre études sur la Flagellation, le fétichisme, le masochisme et le sadisme sous le titre de Psychologie de notre temps[14], le manuscrit des 120 journées de Sodome en 1904 ainsi que des Nouvelles recherches sur Sade, puis en 1907 un gros traité de sexologie clinique et philosophico-anthropologique La vie sexuelle de notre temps dans son rapport à la civilisation moderne[15].

Au chapitre IV de son livre sur Sade de 1901, «  Théorie et histoire du sadisme », il a essayé de trouver une définition commune à toutes les formes de sadisme :

 

Le sadisme est la relation, recherchée à dessein ou s’offrant par hasard, entre l’excitation et la jouissance sexuelles et la réalisation -véritable ou symbolique (imaginaire ou illusoire)- d’évènements terribles, de faits épouvantables, d’actions destructives qui menacent ou anéantissent la vie, la santé et la propriété de l’homme et des autres êtres animés et qui mettent en danger ou annulent la continuité des choses inanimées dans toutes les occurrences. L’homme qui en extrait un plaisir sexuel peut en être l’auteur direct lui-même, ou le faire produire par autrui, ou en être le spectateur, ou de gré ou de force l’objet d’attaque[16].

 

Il a rédigé les 240 notes du manuscrit des 120 journées de Sodome, publié en 1904 d’après le manuscrit original[17] avec des annotations scientifiques, toujours sous le pseudonyme du Docteur Eugen Dühren, sous une fausse adresse Paris Club des Bibliophiles (en fait à Berlin Max Harrwitz) en 200 exemplaires. Le texte qui a servi de base à Bloch a été fait par « un éminent copiste et linguiste qui a déchiffré l’écriture microscopique et presque illisible de Sade ». Il existe de nombreuses fautes prises pour des germanismes et qui ont pu faire mettre en doute l’authenticité du manuscrit (Pascal Pia). Une traduction en allemand a été faite à Leipzig en 1909. Bloch est mort en 1923 et le manuscrit de Sade a été racheté par Maurice Heine pour Charles de Noailles en 1929, et c’est cette transcription qui est considérée comme la véritable première version de référence fidèle au manuscrit publiée en 1931 en 396 exemplaires[18]. Bloch insiste dans la préface sur l’importance scientifique de l’ouvrage pour les médecins, juristes et anthropologues et sur les « surprenantes analogies » entre les cas décrits par Krafft-Ebing et le texte de Sade, partant du principe que selon Sade ces perversions étaient réelles et non imaginaires :

 

Ouvrage essentiel de Sade dans lequel il a réuni toutes les observations et ses idées sur la vie sexuelle de l’homme ainsi que sur la nature et les variétés des perversions sexuelles. […] Les 600 cas rapportés par l’auteur sous forme d’aventures dans une maison publique apparaissent aux lecteurs avec une vérité saisissante et font connaître l’état psychologique de l’âme d’un perverti sexuel en mettant à portée de l’intelligence ce qu’il y a de monstrueux, paradoxal et contre-nature[19].

 

On peut distinguer deux types de notes : des commentaires et des notes analogiques avec Krafft-Ebing. Parmi les premières, il y a des commentaires très élogieux[20] :

Note 27 – Portait d’Adelaïde : Voici une des plus fines observations psychologiques dont abondent les ouvrages de Sade. Les observations témoignent de l’intérêt scientifique du fameux auteur à la recherche de la nature humaine et peuvent servir à prouver qu’il n’est pas fou…Ce remarquable passage prouve que déjà au XVIIIᵉ siècle un de Sade avait reconnu la plus grande importance d’une étude scientifique des perversions sexuelles.

Il y a des commentaires plus neutres :

Portrait de Durcet De Sade représente Durcet avec intention comme un androgyne qui par disposition naturelle éprouve dans un corps d’homme des sensations de femme. Sade a été le premier à proclamer l’inné de beaucoup des perversions sexuelles…Sade proclame ici le besoin de varier les actions sexuelles comme cause principale des différentes anomalies sexuelles.

Le duc : Il est fou d’imaginer qu’on doive rien à sa mère. Une pensée à la Schopenhauer : la génération d’après Sade est une action coupable, la naissance un malheur d’être-né.

Duclos : Je maintiens qu’il faut qu’il y ait des malheureux dans le monde, Anticipation des idées darwiniennes : nécessité de la faiblesse et de la  misère du monde.

Enfin, des notes beaucoup plus critiques :

Cette façon de jouer sur les nombres est particulière à Sade. Il aime à faire correspondre les personnes les actions et les situations les lieux croyant donner plus de variétés au récit mais arrive souvent à l’opposé : monotone.

-Digressions ethnologiques pour expliquer et légitimer par les perversions sexuelles des peuples primitifs celles de ses héros.

-Les notes analogiques sont du type  «  voyez un cas semblable chez Kraff-Ebing » :

Cas typique de fétichisme des cheveux, des fesses, masochisme dans lequel la personne se fait traiter d’enfant / Coprolagniste / Masochisme symbolique : « s’extasier à l’idée seule de l’inceste, de la prostitution de la mère ou de la fille / Combinaison de sadisme idéal et d’exhibitionisme / Fétichisme masochistique : préfère un défaut corporel de la femme (louche) /Pagisme /Les stercoraires platoniques / les coprolagnistes fétichistes des cabinets d’aisance / les fustigations passives raffinées / satanisme impiété parodies blasphématoires de cérémonies religieuses… Il est aussi intéressant de souligner qu’en  1912, donc dix ans plus tard, Bloch critiqua violement la taxinomie de Krafft-Ebing, lui reprochant sa méthodologie faite d’observations purement cliniques, et affirmant que ce n’est pas en inventant des mots sans contenus conceptuels tels sadisme et masochisme sur l’on peut résoudre la question sexuelle.

Rappelons le mot de Proust  à ce sujet : le vice est devenu une science exacte !

3. Albert  Eulenburg et Albert von Schrenck-Notzing

Schrenck-Notzing (1862-1927) a définit en premier le concept global d’algolagnie (souffrance dans la luxure, la volupté) en 1892[21] en la différenciant de l’algophilie, puis a distingué          l’algolagnie active (sadisme) et passive (masochisme). Mais, contrairement à Krafft-Ebing, Il fait valoir que le contraste entre le rôle actif et le rôle passif dans les romans de Sade et Sacher-Masoch n’est pas aussi accentué[22] et que les deux formes de perversions se rencontrent souvent chez le même individu. Il s’intéressa surtout à la télépathie, et à la médium Eva Carrière  et à ses ectoplasmes et pratiqua abondamment l’hypnose.

Albert Eulenburg (1840-1917) neurologue, publie un article sur le marquis de Sade dans die Zukunft du 25 mars 1899 puis en 1902 Sadismus und Masochismus dans lequel  il reprend la définition « classique » de mélange de volupté et de cruauté (Vermischung von Wollust und Grausamkeit) et rappelle que :

 

L’expression sadisme est à l’origine estampée (gesprägt) par le nom de l’auteur et concitoyen français marquis de Sade, et a été éclairée par la diffusion de la Psychopathia sexualis de Krafft-Ebing jusqu’à nous[23].

 

Il reprend le mot perversion au sens d’Abirrung des Geschlechssinnes  aberration du sens génésique de Moreau de Tours. Il insiste sur la flagellation féminine,  citant les exemples de Justine et Roland, Amélie, Juliette, Clairvil et Olympia. Il rappelle les diagnostics possibles concernant l’état psychique de Sade : manie sans délire de Pinel, monomanie affective selon Esquirol, folie morale (moralischer Wahnsinn) et perversité de la vie de la génération (Perversität des Geschlechstlebens[24]). Eulenburg substitua aux termes d’algolagnie les mots de lagnainomanie (volupté féroce ou sadisme) et machlainomanie (sensualité féroce masochisme).



[1] KRAFFT-EBING, Sadisme de l’homme, sadisme de la femme, Op. Cit., p. 7.

[2] POGNANT, Patrick, Psychopathia sexualis de Krafft-Ebing, 1886-1924, une œuvre majeure dans l’histoire de la sexualité, Paris, L’ Harmattan, 2011, pp. 18-19.

[3] ARIÈS Philippe et BÉJIN André, Sexualités occidentales, Paris, Seuil, Points, Communications, 1982,  p. 198.

[4] FOUCAULT, Michel,  Histoire de la sexualité 1, La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976,  p. 85.

[5] CAGNEAU, Irène, Sexualité et société à Vienne et à Berlin, 1900-1914, Discours institutionnels et controverses intellectuelles dans die Fackel, die Aktion, der Sturm, die Zukunft, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2014, p. 91.

[6] Cité par Irène CAGNEAU, Op. Cit, p. 96

[7] CAGNEAU, Op. Cit.,  p. 100.

[8] BÉJIN, Sadisme de l’homme, sadisme de la femme, Op. Cit,  p. 27. Le texte allemand est lisible sur PROJEKT GUTENBERG, Spiegel on line.

[9] Ibid, pp. 30 et 33.

[10] KRAFFT-EBING, Psychopathia sexualis, édition Albert MOLL, Agora, Tome 1, pp. 178-179.

[11] Psychopathia sexualis, version Moll, Agora, Op. Cit,  p. 21.

[12] LANTERI-LAURA, Lecture des perversions,  histoire de leur appropriation médicale, Op. Cit,  p. 44.

[13] Sade a bien les trois libido décrites par Saint Augustin : sentiendi, dominandi,sciendi.

[14] BLOCH, Iwan (Dr VERIPHANTOR), Zur Psychologie unserer Zeit , Berlin,  M. Lilienthal, 1903.

[15] BLOCH, Iwan, (Eugen DÜHREN), Das sexualleben unserer Zeit in seinen Beziehung zur modernen Kultur, Berlin, L. Marcus, 1907.

[16] BLOCH, Iwan, (Eugen Dühren), Der Marquis de Sade und seine Zeit. Ein Beitrag zur Kultur und Sittengeschichte des 18. Jahrhunderts, Berlin, Barsdorf, 1901, Le marquis de Sade  et son temps, Études relatives à l’histoire de la civilisation et des mœurs du XVIIIᵉ siècle, traduction Dr. A. Weber-Riga, préface Octave Uzanne : L’idée de sadisme et l’érotologie scientifique, Paris, Michalon, 1901, Kessinger Legacy Reprints, p. 414.

[17] Écrit en 1785 à la Bastille sur des paperolles collées en un rouleau de 12 m, abandonné dans sa cellule en juillet 1889 lors de son transfert à Charenton, caché dans un étui pénien ou dans les murs de la prison, retrouvé par Arnoux de Saint-Maximin, resté dans la famille  Villeneuve-Trans trois générations, avant d’être acheté par un bibliophile allemand qui le confie à Iwan Bloch.

[18] PIAT, Pascal,  Dictionnaire des œuvres  érotiques, domaine  français.

[19] Les 120 journées de Sodome ou l’école du libertinage, par le marquis de Sade, publié pour la première fois d’après le manuscrit original, avec des annotations scientifiques par le Docteur Eugène Dühren, Paris, Club des bibliophiles, MCMIV, Berlin, Max Harrwitz, BNF cote ENFER 1924, consultable sur GALLICA, avant-propos.

[20] En italique le texte de Sade auquel renvoie la note de Bloch.

[21] SCHRENK-NOTZING, Albert von, Die Suggestions-Therapie bei krankheiten Erscheinungen des Geschlechtssinnes, Stuttgart, 1892 et Zeitschriften für Hypnotismus, Leipzig, 1899.

[22] Voir Iwan BLOCH, Le Marquis de Sade et son temps, Op. Cit., p. 412.

[23] EULENBURG, Albert, Sadismus und Masochismus, dans : Grenzfragen des Nerven und Seelenlebens, Wiesbaden, Verlag von J. F. Bergmann, 1902, p. 1.

[24] Ibid., p. 42.