Rainer Werner FASSBINDER

 

Rainer Werner FASSBINDER : une caméra clinique et psychanalytique

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Cinéaste politique de l’Allemagne post-nazie et des années de plomb, au regard sociologique provocateur et sans concession, décrivant les maux de l’Allemagne des années 70 comme l’a fait Douglas Sirk pour les USA des années 50  (Le lien est souvent fait entre certains films de Sirk et de Fassbinder : All That Heaven Allows / Angst essen Seele auf ; Written on the Wind /   Händler der vier Jahreszeiten. Fassbinder a écrit à propos d’Imitation of Life : « Les films de Sirk libèrent la tête ») : racisme, primat de la consommation et de l’argent, deception du communisme et violence de l’anarchisme…),  Rainer Werner Fassbinder (1945- 1982), sociologue, politique et défenseur des groupes minoritaires ne serait-il pas aussi et surtout un cinéaste psychologue, avant tout intéressé par l’être humain et ses conflits, un fin clinicien voire un pourvoyeur de la théorie psychanalytique ? « Parfois, il semble que Freud soit plus important que Marx. Les hommes sont capables de changer, et c’est uniquement en changeant lui-même qu’un individu peut-être à même de changer la société. » s’interroge ainsi Fassbinder dans une interview. Après avoir affirmé par ailleurs que «  le seul domaine où je m’y connaisse ce sont le gens ». A travers une quinzaine de films choisis (parmi les 45 tournés en 16 ans de 1966 à 1982) quatre thèmes essentiels peuvent retenir l’attention d’un psychiatre et d’un psychanalyste : l’enfance et le complexe d’Œdipe, la dépersonnalisation et le thème du double (utilisation des miroirs), la fréquence des suicides, la description « clinique » et étonnamment très médicale  de cas précis d’épisodes pathologiques. L’interrogation sur le rôle de la psychanalyse et l’enfermement en milieu psychiatrique se fera en conlusion.

1-Enfance et Œdipe : Eine Liebe, das kostet immer viel

« Un amour coûte toujours cher » (épisode VI de « Berlin Alexanderplatz » d’après Alfred Döblin, 1980)

Peter.

Un garçon d’environ cinq ans apporte des fleurs à sa mère. Mais la voisine se plaint que les fleurs aient été volées dans son jardin. « Qu’est-ce qui t’es passé par la tête ? » demande la mère exaspérée. « Il voulait probablement te faire plaisir » réponds le père avec un certain bon sens. « Le beau plaisir, un voleur et un menteur dans ma maison ! » rétorque la mère, « tu dois le punir! ». Le père hésite beaucoup, c’est la mère finalement qui s’en charge, se propose de le frapper, fait allonger l’enfant à plat ventre sur une chaise et lui donne une fessée de manière de plus en plus acharnée avec un porte manteau qui finit par se briser, alors que le père a disparu. L’enfant voulait juste qu’on l’aime. Cette scène clé flash-back du film Ich will doch nur, daβ ihr mich liebt , associant le sadisme de la mère et la lâcheté du père (aussi bien d’ailleurs à punir qu’à défendre son fils) est suivie d’une très courte séquence où l’on voit Peter écrasant un téléphone sur la tête d’un homme qui pourrait être son père (scène-fantasme ou flash-forward), puis de l’entretien avec la psychologue de la prison lui demandant : «  Aviez vous le sentiment enfant que votre mère vous aimait ? ». Réponse : « Oui, à l’époque j’en étais convaincu, mais peu à peu j’en ai douté ». Il se décrit comme un enfant sage et n’ayant pas eu peur de ses parents. Suit une nouvelle scène d’offrande de fleurs par Peter adulte à sa mère qui, malade, ne les regarde même pas et réclame surtout des médicaments pour son mal de tête. Allongée sur un canapé du salon dont les murs sont recouverts d’un papier peint à fleurs, les fleurs sont pour la mère des natures mortes décoratives et n’ont décidemment aucune vie ni valeur d’échange affective. La future femme de Peter arrive et trouve les fleurs belles. Les bouquets de fleurs seront le fil rouge du film, qu’il offrira (en les achetant) à sa femme et à sa bonne grand-mère, répétant ainsi de vaines tentatives de réparation. Mais il n’achètera pas que des fleurs et s’endettera pour des meubles, divers produits de consommation de l’Allemagne d’après- guerre, des cadeaux pour sa femme aussi (robe, machine à tricoter, bijou…), de manière à créer un lien de dépendance à son père, à qui il est obligé de demander de l’argent de manière compulsive pour payer les huissiers, ce qu’il vit de plus en plus comme une humiliation. Son père le jour de son mariage lui avait donné spontanément de l’argent, et c’est le seul échange qu’il gardera finalement avec son fils. Celui-ci sera d’ailleurs à la fois stupéfait et fasciné quand la mère, faisant une scène au milieu d’un repas familial, expliquera que la maitresse du père lui coûte beaucoup plus cher qu’une putain.

Juste après la scène du premier rapport sexuel du jeune couple, suivie de celle de la naissance du bébé, Peter apparait à la poste. Au guichet arrive une femme qui lui passe devant, car elle est, dit-elle, pressée d’envoyer un télégramme, portant au poignet un bracelet spectaculaire d’or et pierres précieuses. Un gros plan sur cette main montre l’attraction du regard de Peter et du postier, à qui cette dame en manteau de fourrure jette de manière hautaine un gros billet de 100 marks. Il s’agit d’un rôle joué par la vraie mère de Fassbinder, Liselotte Pempeit (qu’il fera tourner dans une quinzaine de ses films). Peter ne dépose pas finalement pas son argent sur son compte, mais va immédiatement le dépenser dans une bijouterie, achetant un bracelet en or jaune « plus vrai selon lui  », pour féliciter sa femme de la naissance de l’enfant, même si la vendeuse trouve que c’est un modèle fait plutôt pour être porté par une femme plus âgée (Il offre donc à sa femme ce qu’il pense qu’il aurait fallu offrir à sa mère pour être aimé), mais le bijou coûte très cher… Le besoin d’affects envers la mère doit se payer toujours très cher, dans ce film en particulier, mais pas seulement. Eine Liebe, das kostet immer viel est aussi le titre d’un chapitre de Berlin Alexanderplatz.

Peter accomplira un parricide déplacé sur un cafetier, en l’assommant avec un appareil de téléphone et épargnera sa femme aux pieds desquelles il se jettera. Une autre courte scène, cette fois fantasmée, remplace la cafetière par la mère de Peter. Description clinique d’un complexe d’Œdipe en effet particulièrement difficile : avec une mère sadique qui n’aime pas son fils, et un père indifférent qui ne sait que donner de l’argent, concentrant la culpabilité sur la dette paternelle. Résolution impossible : parricide symbolique certes accompli, même si déplacé sur un autre couple de bistrotiers (dont le passage à l’acte a été déclenché par une scène où le cafetier a traité violemment un jeune client auquel Peter a pu s’identifier), mais non libérateur puisque que Peter se retrouve finalement en état d’humiliation complète et de demande, meurtrier avachi aux pieds de la mère. Il sera condamné à la prison, interrogé par une psychologue bienveillante essayant de donner un sens à son histoire. Le scenario a été tiré d’un texte d’études psychiatriques de Klaus Antes et Christiane Erhardt, intitulé « Lebenslänglich, Protokolle aus der Haft » (condamnation à perpétuité, protocole de la détention). Le sous-titre du film choisi par Fassbinder était en fait Ein Märchen für den Zwängen (Un conte de fées pour les contraintes). Le cinéaste a réussi en effet à transformer une observation psychiatrique en une fiction oedipienne (dont le nom de du conte de fées est certes provocateur, sinon pour mettre en évidence le traumatisme infantile). Le montage du film est très « analytique » : succession de scènes de flash-back, flash-forward et scènes fantasmées (personnage réellement tué et parricide fantasmé), dans une narration scandée par les interrogations de la psychologue en prison. Devant un miroir, Peter pointe son revolver sur sa propre image doublement reflétée.

 

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Angela

Une jeune fille handicapée (marchant définitivement avec des béquilles) est persuadée que le couple de ses parents s’est déchiré à cause d’elle depuis onze ans, que le père a pris une maîtresse à l’annonce de la maladie de sa fille, et que la mère a pris un amant lorsqu’ils ont su que cette pathologie était incurable. Se sentant considérée comme un monstre, elle manigance par des mensonges une rencontre dans le château familial des deux couples et orchestre un jeu de la vérité monstrueux : Chinesisches Roulette. Accompagnée de sa gouvernante muette (handicapée elle aussi donc) et de toutes ses poupées (objets transitionnels qu’elle aime, Angela a ainsi de nombreuses filles dont elle s’occupe contrairement à sa mère qui hait sa fille unique), elle vient par surprise rejoindre ses parents au château et ouvre les chambres des amants le matin avec un regard voyeur (perversion polymorphe infantile), et surtout plein de haine. La gouvernante danse sur une musique électronique avec les béquilles d’Angela, elle a le droit de la singer, contrairement à la mère car elle l’a comprend. Elle organise ensuite une partie de devinettes qui doit révéler un des huit personnages de la soirée (avec la cuisinière et son fils), en faisant à chacun poser des questions souvent scabreuses et donnant des réponses parfois terrifiantes. Sa mère est en fait le personnage à découvrir. Telle une sphinge, elle pose les énigmes oedipiennes. Les réponses d’Angela sont terribles : si c’était une pièce elle vaudrait deux Pfennigs, un animal une anguille, un miroir, une ville en ruines à cause des bombes avec une poupée, un écrivain Oscar Wilde, mourrait lentement de mort naturelle, une mère (et ni une putain ni une sainte), sous le troisième Reich aurait été le chef du camp de Bergen-Belsen. La mère ne supporte pas cette image que lui renvoie sa fille, cherche à la tuer avec un révolver mais en fait tire sur la gouvernante qu’elle blesse. Infanticide déplacé sur une autre handicapée, Angela, perverse polymorphe, ne pouvait plus souffrir en silence et a obligé la haine familiale à être dite et mise en scène. Les parents s’enlacent, le père appelle un avocat, un second coup de feu est entendu, on se sait qui a tiré et ni sur qui. Les comptes ne sont toujours pas réglés.

Fassbinder disait à propos de ce film et d’autres : Es ist besser, Schmerzen zu genieβen als sie zu erIeiden. (Il vaut mieux jouir des souffrances que de les subir).

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Renate  est la fille du marchand de quatre saisons, Händler der Vierjahreszeiten. Celui-ci, quand il est ivre, est violent avec sa femme. Renate voit son père battre sa mère et essaie de la défendre, dans la chambre sous une reproduction « d’une sainte famille ». Sa mère lui demande à la fois de témoigner devant la belle famille, mais aussi de se taire quand la petite fille découvre sa mère prendre du plaisir sexuel avec son amant dans le même lit sous le même tableau. Injonction au clivage : la petite fille doit vénérer la sainte mère, mais se taire quand elle devient putain. Jouée par Andrea Schrober, la petite handicapée de Chinesisches Roulette, Renate obéit aux injonctions paradoxales de sa mère, avant d’aller visiter son père, victime d’une crise cardiaque à l’hôpital. L’infirmière lui dit que son père devra bien mourir un jour. Seule sa tante Anna la console, car elle seule a compris que son frère était parti à la légion pour fuir leur propre mère.

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Bibi est la fille de Margot, qui enceinte, présente après l’accouchement des signes de dépression, de bizarrerie du comportement et une addiction à l’alcool. Elle a « peur de la peur » Angst vor der Angst. Elle ne supporte que la compagnie de Bibi, qu’elle serre très fortement dans ses bras et est attirée par un mystérieux voisin dépressif qui lui se suicidera. Son mari est simplement gentil, la belle mère et la belle sœur la rejettent, le pharmacien pervers qui lui fournit du valium en profite pour la séduire sexuellement. Dès le pré-générique, le trio familial est décrit à travers la petite fille. Enceinte, Margot fait un gâteau mais refuse que Bibi l’aide car elle est trop maladroite. Le père arrive, Bibi se plaint « Je n’ai pas le droit d’aider Maman ». Le père confirme qu’elle met trop de désordre. Bibi donne un coup de pied de rage dans une porte et part avant de regarder ses parents s’embrasser. Scène primitive coupée par la verticale d’une porte comme les scènes vues par Angela. Dès que Margot devient malade, elle s’accroche à sa fille, accepte qu’elle fasse un gâteau, joue au docteur avec elle et refuse qu’elle parte voir sa grand-mère : « Reste près de moi, je t’aime tellement ». Elle veut même l’enlever du jardin d’enfants pour la garder avec elle le plus possible. Quand sa mère est atteinte de bizarrerie du comportement et se « pomponne comme pour aller à l’Opéra » (selon les commentaires de la belle-mère) au lieu de faire la cuisine pour les enfants (dont le bébé dont elle ne s’occupe pas), Bibi se met du vernis sur les ongles «  pour être aussi belle que sa maman ». Mais elle oubliera plus tard d’aller chercher sa fille à l’école préférant boire et écouter de la musique avec un casque qui l’isole de la réalité. Tableau d’une enfant assistant à la dépression maternelle : syndrome de la mère morte décrit par André Green.

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Ces quatre enfants apparaissent à l’écran joués par des enfants. Dans d’autres films ce sont les récits des adultes qui nous renseignent sur leur enfance.

Hermann Hermann, le protagoniste de Despair, arrive à son usine de chocolat (peinte en mauve), et est accueilli par la secrétaire Frau Schmidt. Le bureau de cette dernière est en fait une cage de verre centrale autour de laquelle la camera peut tourner, et la secrétaire est jouée par la propre mère de Fassbinder. C’est alors justement qu’Hermann parle pour la première fois de sa mère. Il associe sur une problématique curieusement shakespearienne des chocolats « Bitter ou not bitter enough, that is the problem » » et en conclue qu’il y a aussi deux sortes de femmes : les petites pimbêches qui aiment l’amertume, et les autres femmes qui aiment les chocolats doux et riches … comme sa mère qui s’en bourrait les joues. Présentée d’abord comme une grosse bourgeoise couverte de bagues qui dévorait le soir une boite entière de bonbons en regardant l’album de famille, le portrait sera plus tard complété selon un roman familial complexe: une très belle femme raffinée vêtue de couleur lilas (comme l’usine), aristocrate russe qui faisait jouer du Chopin à son fils, en fait une Rothschild dont la dote était en pièces de chocolat ! La résolution de l’Œdipe ne manque pas d’ironie : le père mourra de chagrin et la mère de diabète. Chocolat, couleur mauve, oralité sont donc liées à la mère. On s’interrogera sur la problématique homosexuelle d’Hermann, impuissant avec sa femme (mais se regardant lui faire l’amour de manière hallucinatoire), et fasciné par le corps d’un double masculin qui ne lui ressemble pas, mais dont il prendra l’apparence plus virile et sauvage.

Hans, le marchand de quatre saisons, expose la problématique maternelle dès le pré- générique, avant même que l’histoire ne commence vraiment, comme un pré-requis indispensable. Un fils revient de la légion et va voir sa mère qui ne semble pas du tout ravie de le voir revenir sain et sauf. Au contraire, elle lui reproche d’avoir entrainé un ami avec lui dans la légion qui est mort ; « toujours la même chose les meilleurs restent et un type comme toi revient » commente-telle. Quand Hans d’un air très infantile essaie de la convaincre par cette phrase qu’il est devenu meilleur sinon plus fort à la légion : « Mais j’ai changé maman… », elle répond : « Ein Teufelchen Vormittag bleibt ein Teufelchen Nachmittag ». Autrement dit  « un bon à rien ou un petit diable le reste pour toute sa vie », la mère énonce ainsi le principe du déterminisme absolu sans résolution possible du mal. Hans a en effet été torturé puis sauvé de justesse au Maroc en 1947 et cette expérience traumatisante n’a pu que le faire changer. Mais la froideur maternelle elle est restée intacte et cette mère ne défendra pas son fils quand il sera violent sous l’emprise de l’alcool. Seule la sœur (Hanna Schygulla) essaiera de la comprendre et aussi de consoler Renate, sa fille.

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Erwin / Elvira

Erwin, personnage du film Ein Jahr mit dreizehn Monden est né de père inconnu, a été abandonné par sa mère et élevé dans un couvent par une bonne sœur. Devenu boucher dans les abattoirs (les scènes d’abattage des animaux pendus à des crochets et ruisselants de sang rappellent les représentations de Rembrandt et de Bacon qui aimait tant rappeler que la chair humaine n’était avant tout que de la viande), il se mariera avec la fille du boucher avec qui il aura une fille, avant de tomber amoureux d’un homme pour qui il changera de sexe. Le film est construit sur des séquences de narration de son histoire à une prostituée Zora la rouge, avec qui il retourne sur les lieux de sa vie antérieure. Le clivage sexuel est aussi lié à l’argent. Erwin habillé en homme paie pour le sexe, en femme c’est lui qui se fait payer. Il va avec Zora au couvent retrouver la bonne sœur / bonne mère, soeur Grudrun, qui s’est occupée de lui enfant et qui le reconnait malgré son travestissement. Cette religieuse est jouée par Liselotte Pempeit, la mère de Fassbinder. Des images frappantes et subversives scandent cette séquence au couvent : Erwin /Elvira s’écroule aux pieds de la sœur, telle une victime expiatoire, mixte sexuel entre une pamoison de la Vierge et un Christ effondré de douleur lors du chemin de croix et de la passion. Le trio maman-putain-femme est remplacé par celui de sainte mère- putain- homme/femme, la putain (Zora la rouge) en blanc, la religieuse voilée en blanc et noir, et le transsexuel voilé en tulle blanc et portant une robe blanche à poids noirs. La pendaison des animaux de boucherie et la dimension christique rédemptrice de la scène du couvent préfigurent la mort d’Erwin/Elvira qui se suicidera.

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 2-Dépression. Suicide. Alcoolisme. Toxicomanie.

« Oui, j’ai souvent pensé au suicide. Je ne surmonterai jamais un certain dégoût de la vie, mais je ne sais pas s’il ne sera jamais assez fort pour que je me tue… Au fond tout cela est idiot : tu viens au monde, tu connais des moments de bonheur et de tristesse, mais tout çà dans la perspective qu’un jour, de toute façon, tu mourras. Je trouve çà énervant d’une certaine manière. Pour moi, le mieux aurait été de ne pas naître. » explique Fassbinder dans une interview en 1976 accordée à André Müller. Suicides médicamenteux, binge drinking et toxicomanie, pendaisons, explosion, suicides altruistes, acte manqué ou mort d’abandon, les suicides sont nombreux dans les films de Fassbinder, et donnent lieu à des scènes d’une force dramatique intense, en particulier dans les sept œuvres suivantes.

Faustrecht der Freiheit :

Franz Biberkopf joué par Fassbinder, victime d’une arnaque financière et d’une série d’humiliations dans le milieu homosexuel, se suicide au valium. Son corps git dans le couloir du métro, est retrouvé par des enfants qui le dépouillent de l’argent qui lui reste et de sa veste. Puis arrive un de ses anciens « amis », qui fait semblant de ne pas le reconnaître pour ne pas être mêlé à cette affaire de mort. L’humiliation continue au-delà de la vie : le cadavre abandonné dans un lieu de passage public est dépouillé, renié, évité.

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Warum läuft Herr R. Amok :

Le titre pose la question de l’acte final imprévisible. : Pourquoi R. est-il atteint de folie meurtrière ? Le personnage principal est un bon employé, en attente d’une promotion, un mari dévoué et un bon père qui aide son fils à faire ses devoirs. Il tuera subitement une voisine avec un chandelier, puis sa femme et son enfant avant de se pendre. Ce cas de suicide altruiste d’un homme se sentant incompris est une évidence qui semble surprendre tout le monde.

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Ein Jahr mit dreizehn Monden :

Erwin /Elvira est abandonné(e) et trahi(e) par tous : abandonné par sa mère dans un couvent enfant, il ne cessera entrainé par une compulsion de répétition de choisir des objets qui l’abandonneront. Christoph son compagnon ne supporte pas de la voir travesti en homme battu, Anton son ancien amour pour qui il a changé de sexe le trompe avec sa copine Zora prostituée sous ses yeux, sa femme le rejette. Comme il est annoncé au début du film, une année de treize lunes provoque de graves dépressions, Erwin se suicide avec des médicaments et son corps est retrouvé allongé sur son lit, reflété dans un miroir. La préfiguration du suicide se fait dans la boucherie où les carcasses des animaux suspendues à des crochets saignent. Un corps humain est une viande qui risque de finir pendue. Un vrai suicide par pendaison a ensuite lieu dans un bureau baigné d’une lumière rouge sang.

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Die Sehnsucht der Veronika Voss :

Le film comprend deux scènes de suicides induits par le Docteur Katz, femme en apparence très bienveillante avec ses malades, mais qui hérite en fait de ses patients après leur mort qu’elle provoque, après leur avoir rendus dépendant par une toxicomanie iatrogène. Celle du couple de vieux juifs, qui noient leurs toxiques dans une tisane au miel, afin qu’il leur reste un goût sucré de la vie dans la bouche après leur mort, est particulièrement touchante. Après avoir survécu au camp de concentration de Treblinka, ils se suicideront en couple dans leur maison remplie d’objets de porcelaine. Après avoir assisté au cinéma à une scène où l’héroïne réclame une injection de drogue pour soulager son atroce douleur psychique et physique, suppliant : « je ne peux vous offrir que ma mort, tout est à vous », l’actrice sur le déclin Veronika Voss subira le même sort, enfermée à clé dans sa chambre blanche de clinique, contrainte en état de manque à avaler une dose léthale de médicaments. Son corps sera trainé à terre au milieu des débris de son plateau de repas qu’elle aura renversé en tirant d’un geste ultime la nappe linceul.

 

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Der Händler der vier Jahreszeiten :

Hans battait sa femme quand il avait trop bu, puis fit un infarctus. Le médecin avait prévenu : une alcoolisation massive serait léthale. C’est ce qu’il fait devant sa femme et ses amis à la fin du film, après avoir revu son amour de jeunesse. Ce cas de Binge drinking mortel fait écho à la scène d‘ouverture d’humiliation et de reniement maternel, qui répond elle-même à la scène de flagellation au Maroc. Le remplaçant, tant auprès de sa femme que dans son travail, est déjà tout trouvé.

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Die Ehe der Maria Braun :

Maria, au retour de son mari Hermann, et le jour de la coupe du monde de football où l’Allemagne gagne le championnat, commet un acte manqué : elle oublie de fermer le gaz avant d’allumer une cigarette ce qui provoque une explosion spectaculaire de sa nouvelle maison, symbole de réussite de la reconstruction. En écho avec l’explosion du jour du mariage du début du film liée à la guerre, l’histoire est construite entre mariage et suicide, séparation et retrouvailles, défaite et victoire, coincée entre deux incendies.

Fassbinder joue le rôle d’un trafiquant qui brade au marché noir des volumes de Kleist, poète romantique qui s’est suicidé avec Henriette Vogel en 1811. Cette scène où le capitalisme sacrifie la littérature, condense la problématique du film en son milieu.

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Effi Briest souvent comparée à Madame Bovary, meurt d’abandon mais sans poison. La mère de Fassinder joue le rôle de la mère d’Effi Briest.

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3- Miroirs et dépersonnalisation : Einsamkeit reisst auch in Mauern Risse des Irrsinns.

« La solitude fait naître des fissures de la folie même dans les murs » est le titre du chapitre X de Berlin Alexanderplatz. Dépersonnalisation ou clivage (Spaltung) de la schizophrénie, de l’identité sexuelle, angoisse de morcellement sont des concepts particulièrement filmés par Fassbinder , grâce à l’utilisation des miroirs. Fissures dans les murs, fissures dans les miroirs et fissures dans la psyché. Despair  pose selon Fassbinder la question du choix conscient entre suicide ou folie. « Au lieu de se tuer comme le type du dernier film de Bresson, il décide volontairement de devenir fou et tuer un homme qu’il croit être son double et veut prendre son identité, tout en sachant parfaitement qu’il ne lui ressemble pas. »

 

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Dans Ein Jahr mit dreizehn Monden, le clivage est celui de l’identité sexuelle, dans Angst vor dert Angst il s’agit probablement d’un épisode de dépression lié à une psychose puerpérale avec impression de dépersonnalisation, de déréalisation (miroir renvoyant une double image) et de vision floutée rendue par la caméra par des ondulations de l’image. Dans Despair le dispositif est plus complexe et passionnant.

Le titre du film est signifiant : Despair, Verzweiflung, un désespoir, une méprise ? Désespérer ou se tromper ? Une méprise sur la ressemblance ou la différence peut conduire au désespoir identitaire. Le nom du personnage tout autant est signifiant. Hermann Hermann a un nom double de manière à ce qu’on se sache plus quel est le nom et le prénom. Le film est dédié à Antonin Artaud, Van Gogh et Unica Zürn, trois artistes ayant souffert de délires psychotiques.

C’est dans une scène clé sur le plan psychiatrique qu’Hermann pose à Orlovius la question de la dissociation ou Split personnality (ou Spaltung). Il veut écrire un livre à ce sujet ou plutôt évidemment deux livres … Orlovius est lui-même double car charlatan se faisant passer pour un médecin alors qu’il est assureur. Il demande à Hermann si cela lui arrive quand il est saoul ? Hermann semble étonné qu’on lui renvoie la question à son sujet, comme s’il parlait d’un autre. Au lieu d’une consultation psychiatrique, Orlovius lui proposera une assurance-vie, qui permettrait finalement à sa femme de toucher la somme grâce à un double, avec qui il échangera son identité pour le tuer et se faire ainsi passer pour mort. Cette arnaque à l’assurance-vie difficilement crédible aussi bien par les policiers que par Lydia (qui ne comprend d’ailleurs jamais rien) ne sert que de prétexte à une réflexion sur le double et la clivage.

Hermann est impuissant et sa femme a des relations sexuelles avec son cousin sous les yeux de son mari. Mais ce dernier se regarde de manière hallucinatoire faire l’amour à sa femme, assis face au lit à travers un couloir vitré. Une tentative de relation sado-masochiste ne permet pas à Hermann de reprendre la puissance et le contrôle. Lydia souvent nue est elle-même doublée par le dessin stylisé gravé d’une femme nue sur les vitres du décor des années trente de l’appartement. Son corps et ses seins sont froids et de verre translucide.

La castration apparait dès le générique avec les œufs cassés qui servent à la réalisation du fameux cocktail « goggle-muggle » lui-même doublé en « chocky-wocky ». Les coquilles vides seront plus tard remplacées par l’aisselle creuse (et rasée) de Lydia qui se parfume. Lorsque le couple devant le miroir de la salle de bains se reflète, Hermann a le visage plein de mousse à raser. Dans les deux tableaux estampillés par une croix gammée, la castration est représentée : la pipe (et les fleurs) est remplacée par le cendrier (et les fruits). Autre tableau, le portrait d’Hermann qui ne lui ressemble d’ailleurs que vaguement, mais en tout cas plus qu’à Felix.

Le personnage de Felix apparait sur une aire de cirque dans un labyrinthe d’images. Il est joué par l’acteur Klaus Löwitsch qui ne ressemble évidemment pas du tout physiquement à Dirk Bogarde. Cette grande différence est accentuée par le fait qu’Hermann/Bogarde est très distingué raffiné, dandy alors que Felix/Löwitsch est un clochard mal rasé, trapu, musclé… Hermann explique pourtant à Felix qu’ils se ressemblent de manière flagrante… Il lui proposera de jouer son double, soit comme deux frères, soit comme acteur ou son double. Il existe une fascination narcissique et homosexuelle d’Hermann pour Felix. La scène de manucure et pédicure avant l’échange des identités sera remarquablement érotisée, avec une courte incarnation de la métamorphose des images labyrinthiques avant le meurtre.

Armin Meier joue lui aussi trois rôles : celui des jumeaux au cinéma et d’un chocolatier à l’usine. Ceci permet à Fassbinder de filmer une scène de vraie-fausse reconnaissance. Rentrant du cinéma où il a vu l’acteur, Hermann croit le reconnaître dans l’ouvrier de la chocolaterie alors qu’il n’y aurait à priori aucun lien narratif. Le thème du double est ici mis en abyme par le jeu du même acteur qui n’a rien à voir avec l’intrigue. Une fine ligne au cinéma appelée Split screen apparait d’ailleurs si c’est le même acteur qui joue deux rôles sur la même image. Comme si le clivage était inhérent au cinéma.

Une autre scène de fausse- vraie reconnaissance est tournée en saturation de blanc, quand Lydia croit revoir Hermann, c’est en fait Felix mais elle semble ne pas s’en soucier.

Le jeu de mots Murder /Merger (meurtre / fusion) est très signifiant, ainsi que la confusion portant sur les deux Müller : un chocolatier et un nazi, dont on se demande lequel est mort. Finalement, quel autre faut-il tuer pour exister ? Comme le souligne très justement Thomas Elsaesser dans son remarquable article sur  Despair : «  meurtre, fusion, suicide », Hermann plutôt que de rester dans la misère de la castration essaie de liquider son double fusionnel (murder/merger) en le tuant, réalisant le meurtre symbolique du soi castré pour essayer de prendre l’identité d’un homme viril (mais dont il oubliera la canne -phallus tant désiré -sur le lieu du crime, et cet acte manqué signera sa culpabilité devant le crime).

La fin du film reprend la mise en abyme du cinéma. D’abord devant un miroir brisé avec son faux passeport à la main, l’image est morcelée. La tentative de reconstruction se fait lorsqu’Hermann /Bogarde se prend ou essaie de se faire passer pour un acteur de film qui ne doit pas regarder la caméra pour être démasqué !

 

 

 

 

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4-Descriptions cliniques :  Ein Krankenheitsfall  ou un cas  de maladie (sous-titre du film die Bitteren Tränen der Petra von Kant).

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Poussin a peint à Rome vers 1625 Midas et Bacchus, d’après Les Métamorphoses d’Ovide, XI. Midas a sauvé Silène et obtient en échange un don de Bacchus : celui de tout pouvoir transformer en or. Mais il ne peut plus ainsi ni boire ni manger et demande finalement à Bacchus de lui ôter ce don. Il se lave dans les eaux du Pactole qui se remplissent de pépites d’or. Bacchus symbole de l’ivresse et du plaisir sexuel, avait donc ôté à Midas par ce don faussement porteur de toute puissance ses pulsions essentielles : orales et sexuelles. L’interprétation politique est facilement transposable : le capitalisme, affirmant la toute puissance de l’argent, ne tue-t-il pas les pulsions vitales de l’être humain ?

L’immense reproduction par rapport au tableau de Poussin qui tapisse le mur de la chambre de Petra von Kant nous le rappelle sans cesse. Face à trois corps nus, un Bacchus athlétique debout en contrapposto, une nymphe allongée lascivement, un Silène ventripotent avachi, Midas sur son trône supplie et remercie humblement Bacchus de l’avoir délivré de l’emprise de l’argent, donc de lui avoir restitué l’ivresse de la pensée et de la sexualité.

Petra avec sa célébrité et son argent propose à Karin un marché amoureux capitaliste sado-masochiste. Karin est issue d’un milieu modeste (son père ouvrier a tué sa mère et s’est pendu après avoir été licencié), et Petra lui promet de transformer en or tout ce qu’elle touche en échange de son emprise amoureuse. Elle sera mannequin. Les rapports sadomasochistes changent de main dans ce trio entre Marlene, Petra et Karin, inclus dans un sextuor féminin ( Petra entourée de sa mère, sa fille, son amante, son amie, sa domestique). Petra, dominante avec Marlene muette, puis victorieuse comme Bacchus pour séduire Karin, finira allongée comme la nymphe de Poussin, rampant par terre avec sa bouteille de whisky, son baigneur,  et son téléphone (comme s’il ne lui restait que ces trois fétiches), attendant un coup de fil, victime et dominée. Karin devant le léopard avait été dominante. Puis Marlene partira , refusant le marché de Petra, avec un revolver dans son bagage.

Description clinique d’une relation de dépendance amoureuse au sens addictif, d’une passion sadomasochiste avec tentative d’emprise, et de son revers, l’échec et l’abandon, avec sa grande souffrance psychique théâtralisée en cinq actes, ce « cas de maladie » filmé par Fassbinder, est un cas de dépression et de régression liée à une perte d’objet (dont il ne reste que la poupée en celluloïd, résidu miniature des mannequins que la styliste manipulait à sa guise). Karin devait incarner ce mannequin vivant, mais elle est partie à temps.

Margit Carstensen, admirable dans ce rôle (comme par ailleurs dans Angst vor der Angst, Martha et Chinesisches Roulette), confiera dans une interview avoir pu jouer ce rôle dès qu’elle comprît que Petra n’était autre que Fassbinder lui-même…

 

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Martha, contrairement à Karin,  ne partira pas à temps et ne pourra échapper à l’emprise de son mari. Essayant de fuir en voiture, elle se croit suivie et a un grave accident. Finissant paralysée dans un chariot roulant, elle sera encore plus dépendante de son mari, doublement enfermée sur une chaise d’handicapée dans l’ascenseur de l’hôpital dont les portes ses ferment comme celles d’une prison.

La relation commence à la mort brutale de son père en voyage devant l’escalier de la Trinité des Monts. Le père meurt dans les bras de sa fille mais la repousse. Helmut se présente comme un sauveur, qu’elle rencontre une première fois dans un gigantesque vertige (que seul Fassbinder sait filmer en réalisant un travelling tournant) à l’Ambassade d’Allemagne à Rome. S’en suit dans la belle demeure du Bodensee un enfermement carcéral avec emprise progressive et totale du mari  qui remplacera celle du père. Emprise intellectuelle : elle doit écouter de la musique allemande et non Lucia de Lammermoor, apprendre par cœur des textes techniques invraisemblablement complexes… Emprise physique : son mari la force pendant le voyage de noces à faire l’amour, alors qu’elle est gravement brûlée par des coups de soleil au point de s’évanouir. Il l’emmène dans des manèges pour la terrifier de peur. L’analogie avec les films hollywoodiens, laissant sous entendre que tout ceci n’est peut-être que le délire d’une femme paranoïaque qui fantasme être persécutée par son mari, laisse vite place à une description beaucoup plus réaliste et clinique d’une relation sadomasochiste bien réelle.

 

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Epilogue : regard de Fassbinder sur l’asile psychiatrique et la psychanalyse

Le chapitre XIII de Berlin Alexanderplatz s’intitule «  Epilog von Rainer Werner Fassbinder : Mein Traum von Traum des Franz Biberkopf ». Fassbinder s’est déjà identifié (même s’il discute ce terme) à Franz Biberkopf, dans son rôle tenu dans Faustrecht der Freiheit, personnage à qui il arrive une série d’humiliations et d’injustices. L’épilogue interprétatif de Fassbinder ajouté au roman d’Alfred Döblin est une série de fantasmes et de réécritures de l’histoire. D’abord dans un cimetière entouré de deux anges masculin et féminin qui lui tournent autour, puis en prison, le troisième lieu « utopique » selon Foucault est l’asile psychiatrique. Biberkopf est-il un homme ordinaire ou extraordinaire, coupable ou innocent, normal ou fou ? Trois médecins s’interrogent sur son cas. L’éternelle querelle « Psychiker contre Physiker » se poursuit cent trente ans après la médecine romantique : deux psychiatres contre un, affirmant l’organicité des troubles alors que le troisième défend leur origine psychique et donc la psychanalyse. Biberkopf ne mange plus, reste allongé nu les yeux fermés et ne parle plus. Le jeune psychanalyste le nourrit à la cuillère d’une mixture de lait, œuf et cognac, lui imposant un « google-muggle » bien mal adapté mais avec une conviction pure. Ce cas de catatonie mérite l’électricité selon les deux somaticiens « préférable au verbiage » alors que le jeune freudien développe la théorie de la seelische Hemmung ou inhibition psychique. Même si la simulation d’un délinquant est écartée, la maladie organique est privilégiée et les deux professeurs se moquent du jeune psychanalyste : « envoyez un télégramme à Freud si vous croyez au psychisme ! ». Le Biberkopf joué par Fassbinder de Faustrecht der Freiheit se suicidera, mourra dans l’indifférence de tous et même dépouillé dans un couloir de métro. Franz Biberkopf d’ d’Alexanderplatz, après une longue phase de rédemption, retrouvera un poste de concierge dans une usine. Dans Angst vor der Angst, un mauvais psychiatre très renommé fait le diagnostic de schizophrénie à propos de l’état de Margot, alors qu’il s’agit d’une dépression du post-partum. Sur le mur du cabinet de la bonne psychologue qui au contraire a fait le bon diagnostic et la guérira « Sie sind gesund »  est accroché un portrait de Freud.

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A la question qui clive toujours les écoles psychiatriques : électricité, médicaments ou psychanalyse ? Fassbinder a répondu : cinéma. Mais malheureusement pas assez longtemps… Il n’a pas eu le temps de réaliser ainsi un projet passionnant pour un psychiatre, un film d’après l’Homme Moïse et le monothéisme de Freud pour la télévision, média idéal selon le cinéaste pour remplir une fonction psychanalytique en famille, pour ceux qui ne peuvent se payer une cure : « Si l’on se rend compte que l’on doit supporter certaines choses de son entourage parce que cela a à voir avec sa propre enfance, ça commence à devenir passionnant ». C’est ce que les films de Fassbinder ont si bien réussi à démontrer.

« J’aurais aimé être au cinéma ce que Shakespeare est au théâtre, Marx à la politique et Freud à la psychologie, quelqu’un après qui rien n’est plus comme avant ». Un idéal du Moi certes triplement grandiose (mais Freud n’a-t-il pas aussi comparé la révolution déclenchée par sa découverte de l’inconscient à celles de Copernic et de Darwin, ayant  infligé à l’homme les trois  plus grandes  blessures narcissiques ? ). Un pari narcissique donc et surtout réussi de manière fulgurante avec une caméra.

 

 

 

 

 

FILMOGRAPHIE (Films cités dans cet article)

Warum laüft Herr. Amok ? Pourquoi Monsieur R est-il atteint de folie meurtrière ?

1969/70.

Händler der vier Jahreszeiten. Le Marchand des quatre saisons. 1971.

Die bitteren Tränen der Petra von Kant. Les larmes amères de Petra von Kant. 1972.

Martha. 1973/74.

Fontane Effi Briest. 1972/74.

Faustrecht der Freihet. Le droit du plus fort. 1975.

Angst vor der Angst. Peur de la peur. 1975.

Ich will doch nur, dass ihr mich liebt. Je veux seulement que vous m’aimiez. 1976.

Chinesisches Roulette. Roulette chinoise.1976.

Despair- Eine Reise ins Licht. Despair. 1978.

Die Ehe der Maria Braun. Le mariage de Maria Braun.1978.

In einem Jahr mit dreizehn Monden. L’année des treize lunes. 1978.

Berlin Alexanderplatz. 1980.

Die Sehnsucht der Veronika Voss. Le secret de Veronika Voss. 1981.

 

 

PHOTOGRAMMES

1-2-3-4-5-6- Ich will doch nur, dass ihr mich liebt

Vitus Zeplichal (Peter), Ernie Mangold (la mère), Alexander Allerson (le père), Liselotte Pempeit (la dame de la poste au bracelet)

7-8- Chinesisches Roulette

Andrea Shober (Angela), Macha Méril (Traunitz), Volker Spengler ( Gabriel)

9- Händler der vier Jahreszeiten

Hans Hirschmüller (Hans Epp), Irm Hermann (Irmgapp Epp), Andrea Schober (Renate Epp)

10- Angst vor der Angst

Margit Carstensen (Margot), Constanze Haas (Bibi)

11-Händer der Vierjahreszeiten

12-13- In einem Jahr mit dreizehn Monden

Volker Spengler (Erwin/Elvira), Ingrid Caven (Rote Zora), Liselotte Pempeit (Schwester Gudrun)

14- Faustrecht der Freiheit

Rainer Werner Fassbinder (Franz Biberkopf)

15- Warum Läuft Herr R. Amok?

Kurt Raab (Herr R.)

16-17-18- In einem Jahr mit dreizehn Monden

19-20-21- Die Sehnsuch der Veronika Voss

Rosel Zech (Veronika Voss)

22-23- Händler der vier Jahreszeiten

24-25- Die Ehe der Maria Braun

Hanna Schygulla, Rainer Werner Fassbinder.

26- Fontane Effi Briest

Hanna Schygulla (Effi Briest), Liselotte Pempeit (Luise von Briest)

27- In einem Jahr mit dreizehn Monden

28- Angst vor der Angst

29-30-31-32-33-34-35- 36-37- Despair

Dirk Bogarde (Hermann Hermann) Klaus Löwitsch (Felix) Andréa Ferréol (Lydia)

38- Die bitteren Tränen der Petra von Kant

Margit Carstensen (Petra von Kant), Katrin Shaake (Sidonie von Grasenabb), Eva Mattes (Gabriele von Kant)

39-40- Martha

Margit Carstensen (Martha), Karl-Heinz Böhm (Helmut Salomon)

41- Angst vor der Angst

Helga Märthesheimer (Dr von Unruh)

42- Berlin Alexanderplatz

Günther Lamprecht (Franz Biberkopf)

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

FASSINDER par lui-même, Entretiens (1969-1982), Edition établie et présentée par Robert Fischer, Préface de Frédéric Strauss, Paris, Rainer Werner Fassinder Fondation, D3J, 2010.

KAISER, Claire, Rainer Werner Fassbinder, Identité allemande et crise du sujet, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2015.

TRIMBORN, Jürgen, Ein Tag ist ein Tag ist ein Leben,

Catalogues d’expositions:

ELSAESSER Thomas, R. W. Fassinder : un cinéaste d’Allemagne, Centre Pompidou, 2005.

Fassbinder Jetzt, Film und Videokunst, Deutsches Film Museum, Frankfurt am Main, 2013/2014, Martin Gropius, Berlin, 2015.