Marguerite DURAS

DURAS mains

Le blanc des draps et de la mer 

Psychose blanche, anesthésie affective et hallucination négative de la scène originaire dans « Le ravissement de Lol V. Stein » de Marguerite DURAS

I- ARGUMENT : le blanc, les scènes originaires.                                                                                

  1. Le blanc est une couleur : celui de la neige, du lait (donc renvoie au froid et à la mère).

    Le blanc peut être une absence de couleur : un espace sans inscription, une feuille blanche, un écran de projection.

    Le blanc est la couleur d’une partie de certains objets : concernant le regard, c’est le blanc de l’œil qui ne voit pas  (regarder quelqu’un dans le blanc des yeux), ou le blanc d’œuf  qui est non germinatif.

    Certaines expressions utilisent le blanc : chauffer à blanc, nettoyer à blanc : purifier, désinfecter. Saigner à blanc (dépouiller). Tirer à blanc. Blanchir quelqu’un de sa responsabilité ou culpabilité. Blanchir l’argent sale.

    Le blanc est enfin symbolique : la virginité, la pureté (la robe de mariée, les draps).

    Le blanc -de la couleur au concept- est central dans l’œuvre de DURAS. Couleur essentielle, celle de la lumière trop forte ? Elle a valeur d’écran car elle éclaire en aveuglant. Tout  comme on peut donner deux sens au  ravissement (rapt et jouissance), le blanc a une double valeur : celle de blanchir au sens de gommer, effacer et celle de permettre la projection. Une antinomie donc. De même que le rêve se projette sur l’écran blanc du sommeil, DURAS parle du blanc nécessaire à l’écriture et à l’imagination à propos de Savannah Bay : la pierre blanche incite les gens à imaginer car elle est  blanche comme une feuille de papier qui incite à écrire.  Les scènes qui se jouent sous les sunlights, blanchies par la toute-puissance de la lumière , cachent une scène primitive violente. On pourrait parler d’hallucination négative au sens où il n’y a plus de perception des objets incestueux. Au-delà du refoulement, la scène a été gommée par trop de lumière, usée comme des photos d’enfance  par le soleil et le temps au point de disparaître et de faire apparaître  une autre scène en surimpression. 

    DURAS évoque le blanc dans « les  parleuses », lors d’entretiens avec Xavière GAUTHIER. A propos d’une phrase de l’Amour : « Ne sait pas être regardée […] Elle n’est pas consciente. C’est des blancs, si vous voulez, qui s’imposent…des blancs qui apparaissent peut-être sous le coup d’un rejet violent de la syntaxe.. Anesthésie, des suppressions ».  Xavière GAUTHIER associe sur le féminin:  « s’il y a un blanc dans la chaîne grammaticale, est-ce que ce ne serait pas là que serait la femme ? « Réponse de Duras : « ce blanc de la chaîne, ce féminin, c’est peut-être çà qui fait la douleur ». Montrer le blanc, le trou, çà rend malade, c’est entièrement subversif et seule une femme peut le faire. Ce vide sexuel , un homme ne peut le montrer : « Il interviendrait , moi je n’interviens pas. ». Mais les affects et la douleur sont blanchis, comme délavés au point que la maladie de Lol est celle de l’anesthésie affective. Sa tentative de revivre sa douleur passera par le regard. Mais l’omission de la douleur de la jalousie qui n’a pas été vécue a fait sauter un maillon de la chaîne. Il  a une coupure jusque dans son nom : Lol blanc V point Stein . Encore un blanc.

    Elle évoque le blanc dans la Maladie de la mort faisant un lien entre le blanc des draps et de la mer.

« Si je devais filmer le texte, je voudrais que les pleurs sur la mer soient montrés de telle sorte qu’on voie le fracas de la blancheur de la mer et le visage de l’homme presque en même temps. Qu’il y ait une relation entre la blancheur des draps et celle de la mer. Que les draps soient déjà une image de la mer. »

Dans L’été 80, elle reprendra ce thème de la blancheur de la mer et de la folie. Elle ajoute qu’elle-même se situe dans une chambre noire. Regarder sans être vue. Si les bulletins météo de la mer reflètent les variations thymiques de la mère, ce regard est probablement celui de l’enfant qui scrutait la douleur de sa mère. La mer devient un espace de projection des affects : blanche, grise, calme, houleuse, déchaînée…

Dans Les yeux verts, DURAS consacre un article au blanc : « D. m’a dit qu’il voulait me montrer ce qu’il en devenait de la blancheur des fleurs blanches à la pleine lune par temps clair…A l’emplacement des massifs de marguerites et des roses blanches il y avait de la neige, mais si éclatante ,si blanche qu’elle faisait s’obscurcir tout le jardin, les autres fleurs, les arbres…Restait cette blancheur incompréhensible que je n’ai jamais oubliée. » Elle termine en associant sur un souvenir d’enfance dans la forêt du Siam où elle pouvait lire dehors la nuit tellement la lumière était claire. Retour à l’enfance et à sa blancheur encore immaculée, certes, mais aussi à la neige et à la douleur gelée.

Double fonction du blanc qui éclaire mais obscurcit et cache les autres couleurs. Le blanc est investi d’un pouvoir d’ombre. Deux scènes originaires sont blanchies, se jouent dans deux espaces blancs : le rectangle blanc du camp de concentration d’Aurélia Steiner et la pierre blanche de Savannah Bay.

Relisons Savannah Bay : « C’étaient des jours chauds. Très clairs. Très très  clairs…Le souvenir en est là comme aujourd’hui. La pierre blanche est baignée par la houle quand les barques passent…C’est plein de lumière et lui ne voit que cette petite forme adolescente qui avance vers la pierre… Dix-sept ans. Un enfant de lui. Un enfant au dedans du corps scellé. […] Elle nage avec l’enfant au-dessus des profondeurs terribles de l’eau bleue. Lui se  tient au bord de cette profondeur de leur corps sur la plate-forme blanche désertée par la vie et il leur sourit, les bras tendus vers elle comme le premier jour. Il a peur. […]  Il la tire hors de l’eau…Elle cède et s’allonge sur la pierre, sur la matière minérale et elle pose son corps et son cœur et toute sa peau sur la pierre brûlante, blanche comme le nom… Elle, qui est nue, et lui qui la couvre de baisers, de baisers, de baisers partout sur le corps, sur le ventre, le cœur, les yeux. Dans le ventre l’enfant se débat…Dans le ventre l’enfant ignore…Quelqu’un pleure parce qu’ils vont mourir de s’aimer… L’enfant vivra. »

La femme quittera son lit d’accouchée pour aller vers les étangs .On ne retrouvera jamais son corps. Elle s’est donné la mort à Savannah Bay, dans les marécages de la Magra. « Quelle curieuse  expression, se donner la mort…Si nous disions : trouver la mort, ce serait déjà moins juste. » On retrouve ici le thème de la naissance d’un enfant dont la mère mourra peu après sa naissance. La mort de la mère sera violente par  suicide (suicide par  amour rappelant celui d’Anne-Marie Stetter dans India Song). Le lieu de naissance est un espace blanc imprégné de mort. « L’existence de la petite fille n’a pas empêché la mort ». La culpabilité de survie est probablement essentielle.

L’amour entre adolescents (Marguerite et Paul) comportait déjà  un risque de mort et une menace de noyade .On retrouve ce danger incestueux dans AGATHA : « Agatha va au-devant des vagues et elle nage loin, au-delà des balises autorisées, au-delà de tout, et on ne la voit plus et on lui fait signe de revenir…Je dis que j’ai peur, c’est tout… »  

Relisons Aurélia Steiner (Vancouver):  « Je ne peux rien contre l’éternité que je porte à l’endroit de votre dernier regard, celui sur le rectangle blanc de la cour de rassemblement du camp…Vous baigniez dans le sang de ma naissance. Je reposais à vos côtés dans la poussière du sol…Autour de vous, dure et craquée de soleil, cette terre étrangère, cette lumière, cet été parfait, ce ciel de chaleur. Devant vous,le rectangle blanc dans lequel il meurt…Dans le rectangle blanc de la cour de rassemblement ma mère Aurélia Steiner distingue encore le pendu voleur de soupe qui gigote au bout de sa corde ,trop maigre ,trop léger ,il n’arrive pas à se pendre de son propre poids …Ma mère, dix-huit ans se meurt .Devant elle, au bout de la corde, il l’appelle, il crie d’amour fou. Elle n’entend déjà plus….Vous aviez volé de la soupe pour la petite fille Aurélia .On vous avait découvert. On vous a pendu. .Vous avez appelé trois jours durant au bout de votre corde, vous avez crié, répété sans fin qu’une enfant nommée Aurélia Steiner venait de naître dans le camp, vous avez demandé qu’on la nourrisse, qu’elle ne soit pas donnée aux chiens…Vers le soir du troisième jour, on  vous a tiré une balle dans la tête pour mettre un terme à ce scandale…Elle, elle était morte le matin. A ses côtés, l’enfant vivante. »

Naissance d’un enfant et mort des deux parents dans un même espace blanc : mort en couches de la mère et meurtre sadique du père. Le trauma sera inscrit dans le blanc.

La fin d’India Song se passant dans les îles au Prince of Wales est filmée avec une lumière trop forte qui blanchit les images. Les femmes de Calcutta sont blanches car elles ne sortent que le soir. Le poste blanc renferme les gens des ambassades qui contrairement à  la Mendiante-sauf le Vice Consul-vivent dans le blanc des affects et des représentations.

Les souvenirs d’enfance sont aussi marqués de blanc : avant tout  celui de la pauvreté de la mère et des enfants chez les blancs : un blanc pauvre, c’était effroyable et honteux. Même le climat si chaud  évoquait  le  blanc : le cercle blanc de Vinh Long. L’Europe pour la petite Marguerite, c’était la neige.

Le cycle évoque un blanchiment, une épuration des fantasmes : il s’agit de textes hybrides pouvant prendre la forme d’un roman, d’une pièce de théâtre ou d’un film. On peut s’interroger sur cette redondance, sur l’incidence de cette répétition sur la narration de la même histoire.Trois livres  en effet (1964 : Le ravissement de Lol V. Stein. 1965 : Le Vice-Consul.1971 : L’Amour), trois films (1973 : La femme du Gange . 1975 : India Song. 1975 : Son nom de Venise dans Calcutta désert (reprise de la bande-son d’India Song sans personnage) racontent la même histoire de séduction et d’abandon avec comme dans les rêves  des déplacements et des condensations des lieux et les personnages. Epuration des lieux, des identités, de l’histoire traduisant une épuration des affects et des représentations. Flous identitaires, déréalisation, dépersonnalisation. Vide et ruines des lieux.Ce ne sont pas ni vraiment des adaptations ni des transcriptions ni des variations. Mais des répétitions plus ou moins obsessionnelles qui aboutissent  à l’épuisement des fantasmes. Tout devient de plus en plus épuré, blanchi, vide. Les lieux y sont réduits à un matériau uniforme : le sable. « Ils déambulent là toute la journée dans les sables et la nuit…C’est l’annulation totale de l’habitat…La déambulation dans les sables, c’est la déambulation pure, animale. » Les personnages déambulent au bord de la mer, celle qui a ruiné la mère et l’enfance : « La mer me fait très peur, c’est la chose au monde dont j’ai le plus peur…Mes cauchemars ont toujours trait à la marée, à l’envahissement par l’eau ». Les villes aussi y sont très blanches, blanchies par le sel : « un peu comme si du sel était dessus, sur les routes et les lieux où se déplace Lola Valérie Stein. »

La déambulation des personnages dans le sable, là où les empreintes se forment et s’effacent au fur et à mesure, au bord du danger de l’eau permet une expression intemporelle des pulsions et la confrontation de l’amour et de la mort. Des jeux  de mots  sur S. Thala,  Thalassa, (Est-ce toi là?), renforce cette idée de mutation des lieux. T. Beach devient Trouville dans la Femme du « Gange ». Condensation de S. Thala et T. Beach, lieux de Lol V. Stein, de Calcutta du Vice-Consul jusqu’au lieu où DURAS écrit.

L’hôtel devient dans l’Amour : « un ancien palace désaffecté, « un blockhaus creux de la mémoire », un théâtre vide, un endroit fantomatique.  Les personnages sont réduits à une femme en noire, devenue réellement folle comme la mendiante, à un voyageur qui serait venu là pour se suicider  et à un fou qui est appelé aussi l’homme qui marche. La femme serait  Lol V.Stein et le voyageur Michael Richardson ? Le fou est plus une ombre visible seulement des deux autres personnages « l’absence de son regard est absolue …Le Fou, la forme creuse du Fou est traversée par la mémoire de tous. La tête passoire traversée par la mémoire du tout est ici incorporée aux murs ». Le fou a une tête passoire trouée, qui n’offre aucune résistance et laisse  la mémoire se répandre dans tous les lieux. La femme devient « la morte de S Thala », la mendiante près de la mer obscurcie en vase noire. L‘épuration des lieux et des personnages dans ce cycle opère un retour aux fantasmes originaires.

Le blanc est défini par André GREEN dans Narcissisme de vie, narcissisme de mort à partir du mot anglais blank désignant la catégorie du Neutre. Le blanc concerne trois catégories :blanc de la pensée : psychose blanche, blanc des affects : anesthésie affective, blanc des représentations : hallucination négative. Le narcissisme négatif est le double sombre de l’Eros unitaire et la catégorie du Neutre est celle de ni l’Un ni l’Autre. On retrouvera en effet dans Lol V.Stein une absence d’investissement d’objet et une disparition du sujet. On peut aussi se poser la question du registre de l’Archaïque défini par la confusion entre le sujet, le désir et son objet . Le désir n’est plus alors vécu comme une appartenance au Moi élargissant le champ de ses possibilités mais comme une intrusion menaçante de l’objet au sein du Moi qui est en danger de mort.

En ce qui concerne l’hallucination négative et le cadre, rappelons que dans le rêve de l’homme aux loups, le blanc des loups est interprété par FREUD comme celui de la nudité des parents (linge de corps) et des draps du lit où a eu lieu la scène primitive. Dans l’hallucination du doigt coupé, l’homme aux loups détourne le regard, se tait, ne ressent pas de douleur mais de la peur, il existe un vide entre le doigt et la main. Ce sont les traces du négatif. L’hallucination du doigt coupé est précédée de l’hallucination négative du doigt surnuméraire (parente  née avec six doigts de pied  dont on aurait amputé le surnuméraire avec une hache) occultée dans le contenu hallucinatoire, celui-ci ne faisant que positiver, à partir de cette hallucination négative, une amputation déjà opérée dans la pensée. L’hallucination négative n’est donc pas une absence de représentation (comme une absence d’image dans un miroir) mais une représentation de l’absence de représentation : c’est sa fonction encadrante. On se posera la question à propos du cadre de la fenêtre dans l’épisode du champ de seigle. 

Dans  La couleur des mots, lors d’entretiens avec Dominique NOGUEZ, DURAS emploie le terme de scène primitive à propos d’Anne-Marie Sretter : « Le suicide d’Anne-Marie Stretter a été inventé…Un jeune homme s’était tué pour elle…Ca a été déterminant. J’ai vu cette femme avant tout comme une donneuse de mort… Je la fais se tuer pour m’en débarrasser… Cette femme a eu une fonction maternelle à mon endroit…Comme si ma scène primitive à moi en passait par la mort. Anne-Marie Stretter était aussi bien donneuse de mort que mère d’enfants, de petites filles de mon âge, huit ans et demi ». Le terme de scène primitive a été employé à propos  du suicide du jeune homme pour elle. DURAS ajoute : « Pour la première fois de ma vie j’entendais dire qu’on pouvait se tuer par amour ».                           

La définition de la scène originaire  « Urszene » (terme préféré à celui de scène primitive) dans le dictionnaire de LAPLANCHE et PONTALIS comporte une notion d’agression : « scène de rapport sexuel entre les parents, observée ou supposée d’après certains indices et fantasmée par l’enfant . Elle est généralement interprétée par celui-ci comme un acte de violence de la part du père. » C’est à propos de l’homme aux loups que FREUD étudie les éléments de la scène originaire :

1-Le coït est compris par l’enfant comme une agression du père dans une relation sadomasochiste. Il est interprété dans le cadre de la sexualité infantile comme un coït anal.

2-Il provoque une excitation sexuelle chez l’enfant mais en même temps fournit un support à l’angoisse de castration.

3-S’agit-il d’un événement vécu ou d’un pur fantasme ? FREUD répond doublement : Dans l’homme aux loups où il tient à prouver  la réalité de la scène originaire il insiste sur le fait qu’elle n’est interprétée par l’enfant « qu’après-coup » (Nachträglichkeit). Lorsqu’il insiste sur les fantasmes rétroactifs (Zurückphantasieren), il souligne que le réel a au moins fourni des indices.Là où le névrosé , ayant refoulé la scène originaire , la répète activement en jouissant  en éprouvant un mélange de souffrance et de plaisir, Lol V Stein ne peut que la regarder passivement à distance en « jouissant sans douleur ni plaisir ». Pourrait-on parler de « jouissance blanche » ? Elle semble projetter sur un écran blanc ses fantasmes originaires. Elle ne sait plus rien -ne pense plus- ne ressent plus rien -anesthésie-, ne se représente plus rien. Elle est quelque sorte une  morte-vivante comme les parents de la scène originaire.

On peut retrouver  deux  scènes originaires « écran » dans Le ravissement de Lol V. Stein: celle du bal et du champ de seigle. Selon LACAN : « Ce qu’on regarde, c’est ce qui ne peut pas se voir ». Dans la scène du  bal, Lol regarde l’amour naissant jusqu’au bout, c’est à dire jusqu’à son anéantissement car « la souffrance n’a pas trouvé où se glisser ». La douleur est sans sujet. Dans la scène du champ de seigle, allongée, Lol regarde sans voir et  n’est évidemment pas « voyeuse ». Le cadre de la fenêtre entoure un vide.

Toute l’œuvre de DURAS ne comporte pas des scènes  blanchies de leurs fantasmes. La scène « non hallucinée négativement » de L’homme assis dans le couloir en est un exemple aux antipodes de celles de Lol V. Stein : il y a présence d’un voyeur authentique: je vois ou je dis (ce que je vois) ou j’écris (ce que je vois)… La scène se situe dans un cadrage précis éclairé par une lumière: celui de la porte qui sépare le couloir sombre de la lumière du jardin et du chemin de pierres. Le cadre est  plein  et même si on y retrouve une lumière d’une grande blancheur, le rapport sexuel est montré et non effacé: «  Le corps ruisselle de sueur, il est dans un éclairement solaire d’une blancheur effrayante « . Enfin,la scène est vécue et va jusqu’à la jouissance physique et psychique, jusqu’à la mort du fantasme. La sexualité est clairement voire crûment montrée.

II- L’enfance :

« Marguerite DURAS est née en Indochine où son père était professeur de mathématiques et sa mère institutrice. A part un bref séjour en France pendant son enfance elle ne quitta Saïgon qu’à l’âge de dix-huit ans.

Les parents  et les frères : Sur les photographies, la mère paraît sévère autoritaire, courageuse, les pieds sur terre, le regard droit, le chignon serré. Le père semble abattu, le regard triste, les yeux dans le vague. La mère obligeait ses enfants à prendre des photographies qui devenaient des preuves d’existence qu’elle envoyait à la famille en France.

Dans L’Amant, DURAS écrit : « J’ai eu cette chance d’avoir une mère désespérée d’un désespoir si pur que même le bonheur de la vie, si vif soit-il, quelquefois n’arrivait pas à l’en distraire  tout à fait .Ce que j’ignorerai toujours c’est le genre de faits concrets qui la faisaient chaque jour nous quitter de la sorte ».Une mère dépressive « morte »  au sens où l’a décrite André GREEN.

Marguerite est le fruit de l’union de deux jeunes veufs  déracinés en Indochine : Marie LEGRAND s’était mariée une première fois avec Mr OBSCUR .Six mois après elle se retrouvait à Saïgon. Pourquoi ? Elle avait quitté un mari qui mourra en France deux ans plus tard sans le revoir pour aller enseigner. Elle rira d’avoir été « la veuve Obscur ». Henri DONNADIEU, jeune directeur de l’Instruction publique à Saïgon tomba amoureux fou de Marie Obscur peu de temps après son arrivée .Il vivra l’agonie de sa première femme Alice dont il a eu deux enfants : Jean et Jacques, les deux demi-frères de Marguerite dont elle parlera très peu. La famille DONNADIEU vit à Gia Dinh, faubourg de Saïgon, qui signifie en chinois « tranquillité parfaite ». C’est là que naissent les deux frères Pierre le méchant et Paul le gentil. Marguerite naît le 4 avril 1914. Le père était parti en Indochine pour promotion : de simple instituteur il était devenu directeur de l’école normale de Gia Dinh. Marguerite adorait son père, disait de lui qu’il était « un génie mathématique ». De lui elle dit avoir hérité de son goût pour la séduction, son humour et cette nonchalance élégante dans le désir insatiable de se faire aimer.

Sa mère tombe malade alors que Marguerite avait six mois et est rapatriée d’urgence en France. Elle souffre d’arthrites, de paludisme, de complications cardiaques et rénales. La petite fille a vécu huit mois loin de sa mère, élevée par un boy vietnamien. Au retour de la mère, le père sombre dans des souffrances atroces et regagne la France. La mère élève seule ses trois enfants torturée par l’état de santé de son mari dont elle a peu de nouvelles. Dès que l’état de santé d’Henri Donnadieu s’améliore la guerre éclate et il est incorporé. :« Pendant  notre enfance ma mère jouait  à nous montrer la guerre. Elle prenait un bâton long comme un fusil, se le mettait à l’épaule et marchait au pas en chantant…Puis elle éclatait en sanglots. Et nous on la consolait .Oui, ma mère aimait la guerre des hommes. Puis le père revient en Indochine et est nommé directeur de l’enseignement à Hanoi :le père est promu mais la mère perd son poste. Elle s’endette en achetant une maison qu’elle transforme en école. Marguerite dira dans la Vie Matérielle avoir subi sa première expérience sexuelle avec un jeune vietnamien:  « Le souvenir est clair : je suis déshonorée d’avoir été touchée. J’ai quatre ans. Il a onze ans et demi et n’est pas encore pubère  ». Puis le père est nommé à Phnom Penh et la mère devient l’institutrice de la petite fille de sept ans. Le père tombe gravement malade et est rapatrié dans la maison du Lot et Garonne, le domaine de Platier, à Pardaillan par DURAS . Après une agonie d’un mois et demi, il meurt et la mère l’apprend par télégramme. En 1921, Marguerite a sept ans : « Elle l’apprendra avant l’arrivée du télégramme, à un signe qu’elle était seule à avoir vu et savoir entendre, à cet oiseau qui en pleine nuit appelé, affolé perdu dans le bureau  de la face nord du palais, celui de mon père ». La mère parle seule à son mari et lui demande conseil…Elle repart en France et Marguerite arrive en France pour la première fois à huit ans pour deux ans. Elle s’installe au Platier mais se fâche avec la belle famille pour des questions d’argent. Marguerite abandonnera le nom du père Donnadieu pour celui de Duras, nom de la commune paternelle qu’elle choisira pour cadre de son premier roman « les impudents ». Marie accompagnée de ses trois enfants rentre à Saîgon après son temps de congés réglementaires. Marguerite a dix ans. Marie est très mal acceuillie  à l’école souffrant d’une « très mauvaise réputation » et le vit sur un mode paranoîaque. Ils partent pour Vinh Long. Pierre commence à fréquenter les fumeries d’Opium. La nuit Marguerite dort avec sa mère dans le lit de la mère. Elle a peur . Dans l’Amant elle écrit : « La peur est telle que je ne peux appeler. Je dois avoir huit ans .J’entends son rire hurlant surtout et ses cris de joie, c’est sûr qu’elle doit s’amuser de moi . Le souvenir est celui d’une peur centrale. Dire que cette peur dépasse mon entendement, ma force, c’est peu dire. » Peur de qui ? De son frère ? De sa mère qui la bat ? De la mendiante, de la folie.

 Dans le « Barrage contre le pacifique », DURAS décrit la ruine de la mère, la perte de ses illusions, la violence du grand frère et de sa mère qui la battait à cause de l’Amant chinois. La mère vit avec ses trois enfants. Pierre devient de plus en plus violent avec son frère et avec Marguerite. Il prend la viande dans l’assiette de son petit frère et mange comme un chien. Il ramène des singes à la maison, passe son temps à les épouiller et à caresser leurs parties génitales. Marguerite travaille si bien qu’elle a les meilleures notes au certificat d’études de toute la Cochinchine. La mère finit pas expédier Pierre dont la violence frise la folie à Marseille .Elle rêve d’argent et investit vingt ans d’économie dans l’exploitation de  concessions : des arpents de terre volés aux paysans que l’administration donne aux blancs pour les exploiter. Mais ces terres sont incultivables et inondables. Le couple Paul / Marguerite sera représenté par le couple Joseph /Suzanne dans le Barrage.

Dans Agatha , la relation incestueuse au frère sera décrite où l’amour physique et la mort se condensent : « Je pars pour aimer toujours dans cette douleur adorable de ne  jamais te tenir, de ne jamais faire que cet amour nous laisse pour morts ». Ce couple incestuel fait face à la violence de la mère poussée par Pierre. La mère bat l’enfant  est  un fantasme sadomasochiste nodal dans toute l’œuvre de DURAS. Quand elle apprend que Mr JO a donné un diamant à Suzanne, la mère la bat. Dans  L’Amant, on retrouve certains  fétiches : les chaussures de la mère et le chapeau del’homme. DURAS parle de« L’horreur de la maison de fonction de Sadec : lieu de violence, de douleur, de désespoir, de déshonneur. »                                                                                                                                     

Dans « La vie tranquille »  les rapports au père et au frère sont décrits avec violence : l’oncle Jérôme vient retrouver la nuit dans la chambre contiguë à la sienne Clémence, la femme de son frère. Françou dénonce cet amour et déclenche volontairement la vengeance du frère qui tue Jérôme. « Je ne pouvais pas dormir et j’entendais Jérôme et Clémence dans la chambre d’à côté . Tout à coup j’ai été dégoûtée, j’ai trouvé qu’on les avait trop supportés. […]Je n’avais été dégoûtée que parce que moi j’étais seule pendant qu’ils étaient ensemble… » Puis le frère se suicidera. Françou est donc témoin des relations sexuelles entre son oncle et la femme de son frère qui mettra au monde un petit Noël avant de disparaître et de laisser à Françou le rôle de mère. L’oncle/père est ainsi tué symboliquement. Françou réalise un double fantasme incestueux : prendre la place de Clémence/la mère dans le lit de l’oncle /le père  mais surtout dans le lit de Jérôme le frère .Elle prépare ainsi sa mort en en faisant un meurtrier, au parricide suit le fratricide. Au cours d’une réception des voisins à l’occasion de l’enterrement de l’oncle, Françou a un souvenir : celui d’une scène de bal, réception d’adieu donnée par son père quand il avait dû quitter son poste de Bourgmestre en Belgique. Le père avait ouvert le bal avec la femme du premier conseiller municipal mais personne ne l’avait suivi et il avait dansé seul avec elle pendan,t un quart d’heure. « Je revois le visage de cette femme. Dans les bras de Papa, elle se laissait aller un peu ivre mais de dégoût…Elle  portait maintenant un masque héroïque ». L’enfant assiste à la déchéance du père déchu de son rang social, de son travail et de sa fonction virile sous les illuminations du bal. Ce bal où la fille assiste à la mort symbolique du père doit être rapproché du fameux bal de S.Thala.

Dans «  l’Eden Cinéma », le couple incestueux frère/sœur  assiste à la projection sur un écran à une nouvelle scène d’amour à mort : « Je ne voyais plus rien du film, tout occupé que j’étais avec sa main qui peu à peu, dans la mienne devenait brûlante…Pourtant je me souviens qu’un homme est tombé sur l’écran, frappé au cœur…une femme s’est mise à pleurer à cause de l’homme mort .Couchée sur lui elle sanglotait…Doucement j’absorbais sa main dans la mienne … ». Cette scène se situe sur un écran. L’acte amoureux est encore ici lié à la mort. Duras apprendra la mort de Paul en 1942 par un télégramme de la mère venant d’Indochine. Le frère qu’elle initiera sexuellement « à qui elle donna sa bouche, pas le sexe mais sa bouche pour le sexe » confiera-t-elle dans un entretien. Il sera enterré à Saigon. Jamais MD n’ira sur la tombe. DURAS vient de perdre à vingt-huit ans un enfant  mort-né la même année.

                                                                                                                              

La mendiante  est un personnage qui a obsédé Marguerite DURAS.

« Etre à soi-même son propre objet de folie et ne pas en devenir fou, ça pourra être ça le malheur merveilleux »écrit Duras dans le Yeux verts. Elle écrira aussi qu’elle s’est aperçue trop tard de la folie de sa mère. La folle mendiante entre dans la maison avec un enfant dans ses bras. Cette mendiante chassée  par sa mère abandonne son enfant. La mère de Marguerite la soignera jour et nuit, lui donnera un berceau. Mais la petite fille mourra en étouffant et de sa bouche sortiront des vers. Elles n’ont pas pu  la sauver. Ce fut un traumatisme énorme qui hantera Duras. Personnage central du  Vice consul elle dira à propos d’India Song : « Ce sont tous des personnages tragiques sauf la mendiante qui est au-delà du tragique puisqu’elle ne sait rien ».

La mendiante est un personnage essentiel du « Le Vice-Consul » porte-parole de fantasmes de maternité et la dévoration. La mendiante enceinte « vieille enfant enceinte qui vieillira sans mari »est chassée par la mère une trique à la main  qui lui a dit « Si tu reviens, je mettrai du poison dans ton riz pour te tuer…Mange, ne va pas t’ennuyer de ta mère, mange, mange…ne va pas nous dire que vous avez quatorze, dix-sept ans, nous les avons eu ces âges-là mieux que vous. Taisez-vous, nous savons tout… Elle est chassée par son père aussi « Nous avons un cousin dans la plaine des Oiseaux, il est sans trop d’enfants, il peut peut-être te prendre comme domestique…Et si les enfants sont en vie dans ce pays, c’est grâce aux eaux poissonneuses du Tonlé-Sap… ». Elle marche, elle mange et « vomit, s’efforce de vomir l’enfant, de se l’extirper, mais c’est de l’eau de mangue acide qui vient ». Un jour elle vole un poisson salé et le met dans sa robe entre ses seins .Elle rencontre un homme qui s’arrête, la regarde, rit avec lui de son ventre et se sauve… Elle s’endort et quand elle se réveille  voit une chose curieuse : l’enfant a mangé  le poisson. Elle vit la grossesse comme une dévoration intérieure : l’enfant continue à la manger. Il naîtra et sera adopté par une blanche. La mendiante, toute laquée de vase noire sort de l’eau devant  Charles Rossett : d’abord attiré, il prend de l’argent dans sa poche va vers elle mais s’arrête .Malgré la vase et « le casque de crasse », le corps féminin  est dessiné dans la robe trempée.

« Elle cherche dans sa robe, entre ses seins, elle sort quelque chose qu’elle lui tend : un poisson vivant. Il ne bouge pas. Elle reprend le poisson et, lui montrant, elle croque la tête en riant davantage encore. Le poisson guillotiné remue dans sa main. Elle doit s’amuser de faire  peur, de donner la  nausée. Elle avance vers lui. Charles Rossett recule, elle avance encore, il recule encore, mais elle avance plus vite que lui et Charles Rossett jette la monnaie par terre, se retourne et fuit vers le chemin en courant…La folie, je ne la supporte pas, c’est plus fort que moi, je ne peux pas…Le regard des fous, je ne le supporte pas…Il revient sur ses pas. Elle lui tourne le dos, elle va droit vers la lagune et y pénètre, très très  prudemment toute entière. La tête seule émerge à fleur d’eau, et très exactement comme un buffle, elle se met à nager avec une hallucinante lenteur. Il comprend : elle chasse. »

La mendiante tend à l’homme le poisson qu’elle a péché elle-même (fonction paternelle) mais dévore le poisson –pénis, jouit/rit en représentant l’acte sexuel et la castration .La mendiante affamée est devenue dévorante. La représentation de la castration n’a jamais aussi été claire que dans cette scène du  Vice-Consul, roman succédant à Lol V. Stein. Lol deviendra la mendiante dans l’Amour, roman succédant au Vice-Consul. A travers ce cycle, Lol n’a-t-elle pas traversé  l’épreuve de la castration ?

 

III- Interprétations  DE LOL.V.STEIN :

Le titre : Lol V. Stein. Un nom matriculaire. Un cas clinique.

« Beaucoup de femmes ont horreur de leur nom, même celles qui n’écrivent pas…Le vrai nom de Lola Valérie Stein, c’est elle qui se le donne. Après sa maladie elle se nomme elle-même et pour toujours. ». C’est Jacques Hold qui déclinera son nom en entier en signe de connivence la première fois où il sera seul avec elle.

« Je n’ai jamais cherché à savoir pourquoi je tenais mon nom dans une telle horreur que je n’arrive à peine à le prononcer. Je n’ai pas eu de père. Enfin, je l’ai eu très peu, suffisamment longtemps. »

LOL : réversible et symétrique. Au centre un O, un Zéro ? Un rien encadré de deux L /ailes « en allée loin de vous et de l’instant.[…] Si constamment envolée de sa vie vivante ».

Le casino de T. Beach est d’une blancheur de lait, un immense oiseau posé, ses deux ailes régulières bordées de balustrades.

LOL : Trois lettres, celui d’un triangle Oedipien ? « C’est vrai que d’une certaine manière, l’amour ne se fait qu’à trois. C’est à dire que le tiers, même et surtout s’il n’est pas là, est-ce qu’il faut qu’il y en ait un, pour que ça continue à circuler, le désir ? Le triangle de l ‘Amour se défait  et se reforme ».

LOLA : prénom d’enfance qu’utilise Tatiana. Celle qui n’est jamais là. Lola est un diminutif espagnol de Dolores : la douleur.

Lola est ravi de son  a, marque de féminité en français. Lol rime alors avec fol.

V. Le nom de Valérie est caché, un blanc. Il appartient à une série : S (Thala) T (Beach) U (Bridge) V (Lol V. Stein).

On pense à HIROSHIMA et à NERVERS/Never.

STEIN : consonance allemande par rapport à LOL espagnol et Michael Richardson anglais.

Tatiana KARL est mixte.

Anagramme de STEIN = ni est, nier. Celle qui n’est pas.

Nom juif avec Aurélia STEINER et le STEIN de Détruire, dit-elle. La douleur et les horreurs des camps. La dureté de la pierre à détruire par la révolution.

Les femmes ne portent pas le nom de leur mari : Lol Bedford et Tatiana Beugner : elles gardent celui de leur père.

STEIN=pierre et Pierre, le prénom du frère aîné.

 « Comme toi j’ai désiré avoir une mémoire inconsolable, une mémoire d’ombres et de pierre » dit la française dans Hiroshima. Mémoire nécessaire et inconsolable.

Du frère aîné à Yann Andréa Steiner, DURAS transmettra le nom.

Un nom matriculaire pour la fiche d’identité d’un cas médical :

DURAS dit que le ravissement est son roman à la fois le plus lucide et le plus obscur :

« Je ne sais pas d’où vient Lol » (La couleur des mots). « Je mourrai sans savoir exactement qui c’est »(Lieux).Pourtant  elle explique (Outside) qu’il s’agit au départ d’une jeune patiente qu’un psychiatre médecin chef de l’asile de Villejuif lui a confié un dimanche à Noël sur sa demande. Dans le cadre d’une association caritative, elle portait des cadeaux aux malades. La patiente appelée Manon souffrait d’amnésie totale. DURAS n’oubliera jamais « son regard vide ». Jacques Hold écrit en quelque sorte l’observation médicale et reproduit avec Lol le rapport de DURAS avec la patiente qui a tout oublié. Des termes médicaux : crise, folie, maladie, guérison, rechute… de Lol sont employés. Mais il est aussi dit de Lol qu’elle est  une vicieuse, une dingue…DURAS acheva le livre au sortir de sa cure de sevrage ethylique.                                                                                                                  

Relisons LACAN dans son hommage à Duras : « ailes de papier, V, ciseau, Stein, la pierre ,au jeu de la mourre tu te perds …O bouche ouverte, que veux-je à faire trois bonds sur l’eau ,hors-jeu de l’amour, où plongé-je ? ».                                                                                                                                      

Le ravissement : ce mot qui selon LACAN fait énigme. Objectif ou subjectif, Lol V. Stein le détermine. « Ravie, on évoque l’âme et la beauté qui opère…Ravisseuse est aussi l’image que va nous imposer cette figure de blessée, exilée des choses, qu’on n’ ose pas toucher, mais qui vous fait sa proie. » 

Ravir et non rêver. DURAS a horreur du mot rêve. Dans « Work and Words » elle dit : «  Le mot dont j’ai le plus horreur dans la langue française et je pense dans toutes les langues c’est le mot rêve. Je n’ai jamais rêvé, c’est pour cela que j’écris…Le mot écrire ,c’est être là à cette table tous les jours que Dieu fait…à être comme ça à ne rien faire et surtout à ne pas rêver…Pourquoi le rêve ?Parce que c’est le grand alibi de la pensée, c’est la pornographie. »

Ravissement a un double sens=rapt (enlèvement) et enchantement.

Vol et/ou extase ? La dimension mystique apparaît dans certaines expressions : « gloire de douceur…grâce absolue …  » et le comportement : évanouissement, cri. DURAS évoque aussi plusieurs fois DIEU : « Lol n’est encore ni Dieu ni personne…Michael Richardson, chaque après-midi, commence à dévêtir une autre femme que LoL et lorsque d’autres seins blancs apparaissent  blancs, sous le fourreau noir, il en  reste là ; ébloui, un Dieu lassé par cette mise à nu, sa tâche unique, et Lol attend vainement qu’il la reprenne, de son corps infirme de l’autre elle crie, elle attend en vain, elle crie en vain. Puis un jour ce corps infirme remue dans le ventre de Dieu. »

C’est à ce niveau que la question du délire (mystique) se pose. Dieu serait-il devenu femme ?

S’agit-il d’un fantasme de retour dans un  ventre maternel divin ?

Le mot ravissement n’apparaît que dans le titre. Il occupe la place vide de ce mot-absence qu’il aurait fallu trouver pour désigner l’expérience de Lol.

 « Lol ne va pas loin dans l’inconnu sur lequel s’ouvre cet instant. Elle ne dispose d’aucun souvenir même imaginaire, elle n’a aucune idée sur cet inconnu. J’aime à croire, comme je l’aime, que si Lol est silencieuse dans la vie c’est qu’elle a cru, l’espace d’un éclair, que ce mot pouvait exister. Faute de son existence, elle se tait .C’aurait été un mot-absence, un mot- trou, creusé en son centre d’un trou, de ce trou où tous les autres mots auraient été enterrés

Manquant, ce mot, il gâche les autres, les contamine, c’est aussi le chien mort de la plage en plein midi, ce trou de chair. Comment ont-ils été trouvés les autres ? Au décrochez-moi ça de quelles aventures parallèles à celle de Lol V.Stein étouffée dans l’œuf, piétinées et des massacres, oh ! qu’il y en a, que d’inachèvements sanglants le long des horizons, amoncelés, et parmi eux, ce mot, qui n’existe pas, pourtant est là… ».

Roland BARTHES consacre dans « Fragments d’un discours amoureux » une étude au mot ravissement. Il en rappelle une définition : « Episode réputé initial (mais il peut être reconstruit après coup) au cours duquel le sujet amoureux se trouve ravi capturé et enchanté par l’image de l’objet aimé. » Le nom populaire est coup de foudre et le nom scientifique énamoration.

Barthes rappelle l’équivalence du vocabulaire de l’amour et de la guerre : il s’agit de conquérir, de capturer, de ravir…Dans le mythe ancien les hommes devaient enlever les femmes (les Sabines) pour assurer l’exogamie. Le ravisseur masculin était actif, saisissait sa proie, était le sujet du rapt dont l’objet était la femme. Dans le mythe moderne de  l’amour passion, le ravisseur ne fait plus rien, il est immobile et c’est l’objet ravi qui est le vrai sujet du rapt « L’objet de la capture devient le sujet de l’amour ».Du modèle archaïque  néanmoins subsiste une trace publique : « l’amoureux qui a été ravi est toujours implicitement féminisé. »

Le retournement vient du fait que  le sujet d’une histoire d’amour  est celui qui souffre (christianisme ?), plus la blessure est béante plus il est le sujet (Parsifal).

Le coup de foudre est une hypnose : l’épisode hypnotique est précédé d’un état crépusculaire =de vide. Barthes cite Werther « La vacance que j’accomplis en moi n’est rien d’autre que ce temps, plus ou moins long, où je cherche des yeux, autour de moi, sans en avoir l’air, qui aimer. » Puis l’HEPTAMERON : le coup de foudre est si fort qu’on est stupéfait si l’on entend quelqu’un décider de tomber amoureux tel Amadour voyant Floride à la cour du vice-roi de Catalogne « Après l’avoir longtemps regardée, se délibéra de l’aimer ».                                                                                                                 

Selon LACAN  un coup de foudre, c’est tomber amoureux d’un tableau, une scène dans un cadre. Werther voit Charlotte encadrée par la porte de sa maison couper des tartines aux enfants. Hanold tombe amoureux d’une femme en train de marcher « la Gradiva », encadrée dans un bas-relief. La bonne Groucha  fait une impression sur l’homme aux loups quand elle frotte le plancher à genoux. Ce qui ravit, c’est l’image du corps en situation et qui ne fait pas attention à celui qui le regarde. Il engendre la surprise, le rapt. Dans la scène du bal, Anne-Marie Stretter danse et se laisser enlever. Lol est ravie par ce rapt.

Barthes conclut : l’épisode amoureux a un début (coup de foudre), une fin (abandon, suicide, retraite, couvent, voyage…) mais la scène initiale du ravissement est reconstruite après-coup : il s’agit de reconstruire une image traumatique vécue au présent mais conjuguée au passé :le coup de foudre est toujours au passé simple car il est passé(reconstruit)et simple(ponctuel) ou plutôt un immédiat antérieur.

Racine emploie le passé simple : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ».

 

Les quatre parties :                                                                                                                                                                           

I. Le bal : description théâtrale de l’abandon. Elle regarde Anne-Marie Stretter lui ravir Michael Richardson.

-Raconté au passé simple, temps du détachement (Barthes).

-Scène de théâtre avec entrée des deux femmes (AMS et sa fille) par la porte de la salle de bal et sortie d’AMS et de MR par une porte que Lol tente de maintenir fermée. Le bal se déroule à huis clos. Lol est entourée par sa mère et  Tatiana.

-D’emblée le vide et le silence : l’orchestre cesse de jouer et la piste se vide. Le vide final répondra à ce vide initial, le bal vide s’achèvera à l’aurore.

-Description racinienne du ravissement (Phèdre) :

Lol frappée d’immobilité regarde s’avancer Anne Marie Stretter « cette grâce abandonnée,  ployante d’oiseau mort …qui promenait un non-regard sur le bal. »Le regard d’AMS avec ce défaut qui venait d’une décoloration presque pénible de la pupille était difficile à capter.

Michael Richardson pâlit. Son regard s’était éclairci. Lol le regardait changer, certaine qu’il allait vivre ce changement jusqu’au bout mais sans souffrir. « Elle guettait l’événement, couvait son immensité, sa précision d’horlogerie. Si elle avait été l’agent même non seulement de sa venue mais de son succès, Lol n’aurait pas été plus fascinée ».

Lol regarde MR inviter AMS à danser : « Une femme dont le cœur est libre de tout engagement, très âgée, regarde ainsi ses enfants s’éloigner, elle parut les aimer ».Identifiée à la mère qui aime ses enfants mais se résigne à les voir partir, Lol ne subit pas, elle est dans l’illusion de la toute-puissance narcissique, et par amour dirige tout ce qui se passe jusqu’à la fin. Elle est doublement ravie.

MR demande à la fin de la première danse l’imploration d’une aide, l’acquiescement de Lol.

La mère vient chercher Lol  réfugiée derrière les plantes vertes.

Elle crie. Se jette sur les battants de porte. Puis suit des yeux AMS et MR à travers le jardin et tombe par terre évanouie dès qu’elle ne les voit plus. La fin du bal annonce la fin du roman :

De la pâmoison à l’endormissement dans le champ de seigle, la boucle sera bouclée.

II. La dépression mélancoliforme : description médicale.

1-Attente négative et deuil impossible.

Lol reste dans sa chambre sans sortir pendant quelques semaines / en prostration. « Qu’est-ce qu’une souffrance sans sujet ? ».Elle répète toujours les mêmes choses, qu’il n’est pas tard, que l’heure d’été est trompeuse. Prononce son nom avec colère Lol V.Stein « c’est ainsi qu’elle se désignait ».Elle se plaint d’une fatigue à attendre, s’ennuie à crier. « Elle criait qu’elle n’avait rien à penser tandis qu’elle attendait, réclamait avec l’impatience d’un enfant un remède immédiat à ce manque ».Puis elle cesse de parler, de se plaindre, ne parle que pour dire qu’il lui est impossible d’exprimer combien c’est ennuyeux et long, long, d’être Lol V. Stein.

Si on lui demandait si elle pensait à quelque chose, elle ne comprenait même pas la question. « Elle était devenue un désert dans lequel une faculté nomade l’avait lancée dans la poursuite interminable de quoi ? On ne savait pas. Elle ne répondait pas. »La paralysie de la pensée est ici manifeste, évoquant  la pierre angulaire de la psychose blanche.

« Elle payait maintenant, tôt ou tard cela devait arriver, l’étrange omission de sa douleur durant le bal. »L’anesthésie affective est ici encore manifeste. Le regard  a servi de bandeau à l’émotion.

Puis elle recommence à écouter sans poser  de question. « L’amour qu’elle portait à Michael Richardson se mourait .C’avait été indéniablement déjà avec une partie de sa raison retrouvée qu’elle avait  accueilli le juste retour des choses… ».                                                                                                                                       

Elle recommence à sortir. La première fois de nuit seule et sans prévenir. Elle rencontre son futur mari Jean Bedford. Elle l’embrasse à lui faire mal, sa bague de fiançailles encore au doigt. Elle lui plaisait, provoquait le désir qu’il aimait des petites filles pas tout à fait grandies.

On le suspecte d’avoir aussi une étrange inclination pour les jeunes filles délaissées, folles.

Lol se marie sans avoir eu à choisir ni  à vouloir mais surtout sans remplacer M.R : « sans avoir trahi l’abandon exemplaire dans lequel le partant de T.Beach l’avait laissée. »

Suivent dix ans à U.Bridge de vie avec son mari et ses trois enfants. La mort de sa mère la laisse sans larme.

2-Défenses obsessionnelles et maîtrise parfaite :

Un ordre rigoureux règne dans l’espace et le temps de sa vie. Les heures sont respectées ainsi que les emplacements de choses : « on ne pouvait approcher davantage de la perfection. »

Elle installe sa maison avec un ordre froid. « Elle a ce goût froid de commande ».

Elle dessine un jardin où les allées régulières disposées en éventail ne mènent nulle part.

Elle se promène de manière « indispensable » comme elle fait le reste avec : ponctualité, ordre et sommeil.

« Elle fait la morte dans un tombeau. »

Elle revient à S.Thala où les gens  font semblant de ne pas la reconnaître. Mais elle s’attribuait à elle-même « le mérite de son incognito » ne pensait même pas que les gens voulaient lui éviter de lui rappeler une douleur ancienne.

« Elle se croit coulée dans une identité de nature indécise qui pourrait se nommer de noms indéfiniment différents et dont la visibilité dépend d’elle ».Le flou identitaire est iciparfaitement décrit. La paralysie de la pensée ne s’atténue que lorsqu’elle marche, comme un fourmillement, un engourdissement qui se dissipe lors du mouvement.

Cette réactivation de la pensée lors de la marche  rappelle les  déambulations sur la plage des personnages de l’Amour. « Les pensées, un fourmillement, frappées de stérilité  une fois la promenade terminée viennent à Lol pendant qu’elle marche. On dirait que c’est le déplacement machinal de son corps qui les fait se lever toute ensemble dans un mouvement désordonné, confus, généreux. Lol les reçoit avec plaisir et un égal étonnement…Pensées naissantes et renaissantes, toujours les mêmes qui viennent dans la bousculade prennent vie dans un univers aux confins du vide… »

 3-Réminiscences et enfermement :

Lol se promène pour penser au bal et le temps retrouvé –proustien-se fige :

 « Le bal reprend un peu de vie, frémit, s’accroche à Lol. Elle le réchauffe, le protège, le nourrit, il grandit, sort de ses plis, s’étire, un jour il est prêt. Elle y entre. Elle y entre chaque jour…Un vicieuse dit Tatiana, elle devait toujours penser à la même chose…Ce qu’elle rebâtit, c’est la fin du monde…Elle sourit à cette minute pensée de sa vie. La naïveté d’une éventuelle douleur ou même d’une tristesse quelconque s’en est détachée. Il ne reste de cette minute que son temps pur, d’une blancheur d’os. »Le temps retrouvé est lui aussi blanc.

Le bal est figé dans l’espace et le temps. « Les fenêtres fermées, scéllées, le bal muré dans sa lumière nocturne les aurait contenus tous les trois et eux seuls. Lol en est sûre : ensemble ils auraient été sauvés de la venue d’un autre jour…Il aurait fallu murer le bal, en faire ce navire de lumière sur lequel chaque après-midi Lol s’embarque mais qui reste là dans ce port impossible, à jamais amarré et prêt à quitter, avec ses trois passagers tout cet avenir-ci  dans lequel Lol V. Stein maintenant se tient…Mais Lol  n’est ni Dieu ni personne. »

Ce Navire-night inondé de lumière sur lequel Lol s’embarque est un Narrenschiff bloqué dans un port sans redémarrage possible.                                                                                                                     

III. Le champ de seigle : Lol regarde.

Deux lieux servent de cadre au regard de Lol : le casino de T. Beach est celui où Michael Richardson l’a abandonnée pour Anne-Marie Stretter et l’hôtel des bois de S.Thala  où elle regarde allongée dans le champ de seigle la fenêtre de la chambre où Jacques Hold et Tatiana Karl font l’amour. Mais cet hôtel « de mauvaise réputation »est aussi celui où Michael Richardson a fait à Lol son serment d’amour.

« C’est à cet endroit qu’elle a commencé à se parer pour le bal de T.Beach. C’est de là qu’elle est partie pour le bal ».Il s’agit donc d’un retour sur le lieu de la promesse d’amour.

Cette scène répétitive est racontée de manière différente par des narrateurs différents

et évolue en fonction de la connaissance ou non de la présence de Lol par les protagonistes :la scène est racontée tantôt par le narrateur directement , par Lol à Jacques Hold, par Jacques Hold à Lol. Si bien que le narrateur racontera ce qu’il n’est pas sensé connaître au début…

Lol regardera d’abord dans le secret, puis l’avouera à Jacques Hold après lui avoir fait deviner. Dans un premier temps, il sera excité de se savoir regardé, en jouera en faisant parler à Tatiana de Lol  mais qui envahira la scène à tel point qu’il  deviendra impuissant. C’est alors que Tatiana Karl devinera sa présence dans le champ:« c’est notre  petite Lola…Cette dingue ».

On assistera à une tentative de « réincarnation et repersonnalisation » de Lol qui, envahissant peu à peu la scène fantasmatique au point d’en être le personnage essentiel voire le metteur en scène, retrouvera transitoirement son corps, son nom en entier et sa volonté.

1-La première scène  (p. 65)  est vue à distance et le cadre est restreint : « la fenêtre est petite et Lol ne voit des amants que le buste coupé à la hauteur du ventre…A cette distance quand ils parlent elle n’entend pas .. .Elle ne voit que le mouvement de leurs visages devenu pareil au mouvement d’une partie du corps, désenchantés… »Elle ne les voit que quand ils passent près du fond de la chambre derrière la fenêtre dans un rectangle de lumière. Elle voit la femme : les seins et la chevelure noire de Tatiana.

Lol ne voit quasiment rien car n’est pas là: « l’idée de ce qu’elle fait ne la traverse pas. Je crois que c’est la première fois qu’elle est là sans idée d’y être…Elle se demande d’où lui vient la faiblesse merveilleuse qui l’a couchée dans ce champ…Les yeux rivés à la fenêtre éclairée, une femme entend le vide – se nourrir, dévorer ce spectacle inexistant, invisible, la lumière d’une chambre où d’autres sont…De loin, avec ses  doigts de fée, le souvenir d’une certaine mémoire passe…  » Elle ne pense pas, ne voit riendans un état de déréalisation et dépersonnalisation proche du morcellement et de l’éclatement : elle frôle Lol allongée dans le champ et se montre à elle-même cette femme qui regarde une petite fenêtre rectangulaire une scène étroite bordée par une pierre : elle a peur d’une séparation plus grande d’avec les autres. Elle se sépare d’elle-même en regardant son abandon.

 Elle termine «  engourdie » et arrive en retard chez son mari qui l’attend inquiet  mais « l’amour que Lol avait éprouvé pour Michael Richardson était pour son mari la garantie la plus sûre de la fidélité de sa femme. Elle ne pouvait pas retrouver une deuxième fois un homme fait sur les mesures de celui de T.Beach ou alors il fallait qu’elle l’inventât or elle n’inventait rien… ». L’homme fait sur mesure est celui qui l’a abandonnée. Elle ne vit plus que d’avoir été abandonnée.                                                                                                      

2- Lol cherche ensuite à revoir Tatiana et reparle du bal. Elle rencontre Jacques Hold ami et confrère du mari de Tatiana, Pierre Beugner.  A la question « Que vouliez-vous ? » posée par Jacques Hold, elle répond « Les voir ». « Je vois tout. Je vois l’amour même. Les yeux de Lol sont poignardés par la lumière : autour un cercle noir. Je vois à la fois la lumière et le noir qui la cerne ». (103).Elle laisse déjà deviner à Jacques Hold qu’elle regarde. Ses yeux aussi sont blancs encadrés de noir.

Puis elle avoue ensuite. A la question « Que voulez-vous » elle répond « Je veux ».  « Despotique irrésistiblement, elle veut …Qui avait remarqué l’inconsistance de la croyance en cette personne ainsi nommée sinon elle, Lol V. Stein,  la soi-disant Lol V. Stein…Pour la première fois mon nom prononcé ne nomme pas.-Lola Valérie Stein.- Oui. ».                                                                                                                               

Son corps « de pensionnaire grandi »est décrit : les cheveux blonds, le regard clair : elle réapparaît  physiquement.

Elle veut. Elle se nomme en entier .Elle retrouve son corps .Après s’être  dépersonnalisée, elle partage le secret avec Jacques Hold « qui la tient » et elle est à nouveau « là ».

 « La nudité de Tatiana déjà nue grandit dans une surexposition qui la prive toujours davantage du moindre  sens possible. Le vide est statue. Le socle est là : la phrase. Le vide est Tatiana nue sous ses cheveux noirs, le fait …Tatiana sort d’elle-même, se répand par les fenêtres ouvertes, sur la ville, les routes, boue, liquide, marée de nudité…La phrase vient de mourir ,je n’entends plus rien, c’est le silence, elle est morte aux pieds de Lol, Tatiana est à sa place. Comme un aveugle, je touche, je ne reconnais rien que j’ai déjà touché…

Nous sommes deux maintenant à voir Tatiana nue sous ses cheveux noirs…Je dis en aveugle : Admirable putain, Tatiana… ».

Lol devient le metteur en scène des fantasmes : Jacques Hold décrit à Lol des fantasmes

sadomasochistes : « Il cache le visage de Tatiana Karl sous les draps et ainsi il a son corps

décapité sous la main, à son aise entière…Il le tourne, le dispose comme il veut, écarte les membres… (p134) »Dans la confusion de Lol et Tatiana, Jacques Hold a beaucoup de plaisir

« plus que d’habitude » d’autant plus que Tatiana parle de Lol sans savoir qu’elle est là. « Il faut à nouveau faire taire Tatiana sous le drap… Son corps chaud et bâillonné je m’y enfonce…je me greffe, je pompe le sang de Tatiana .Tatiana est là pour que j’oublie Lol

V.Stein. Sous moi, elle devient lentement exsangue… ». (p.167)

Tatiana est bâillonnée, écartelée, décapitée, vampirisée.

Mais Jacques Hold aussi est torturé psychiquement par Lol : « L’image du champ de seigleme revient, brutale, je me demande jusqu’à la torture, je me demande à quoi m’attendre encore de Lol  ». Lol serait-elle devenue à tel point sadique 

3-Lol devient trop présente pour Jacques Hold dans la chambre, trop obsédante dans le fantasme .En attendant  Tatiana il se caresse en voyant la forme grise dans le champ. Quand Tatiana arrive, il n’essaie même pas de la prendre, impuissant, désespéré. Alors Tatiana devine la présence de Lol dans le champ et la traite de folle : « Je saurais sans lui faire aucun mal, lui dire de te laisser tranquille. Elle est folle, elle ne souffrira pas, c’est comme ça les fous, tu sais… »

Le champ de seigle est incendié de lumière : Lol redevient invisible :   folle, une forme sans souffrance. 

Lol a presque réussi à mener son fantasme à terme : « Je vois qu’un rêve est presque atteint. Des chairs se déchirent, saignent, se réveillent. Elle essaye d’écouter un vacarme intérieur, elle n’y parvient pas, elle est débordée par l’aboutissement, même inaccompli  de son désir. »

Mais le désir reste inaccompli : « ce qui s’est passé dans cette chambre entre Tatiana et vous je n’ai pas les moyens de le connaître. Jamais je ne saurai. Lorsque vous me racontez il s’agit d’autre chose. »Le fantasme avorte et ne permet pas la réalisation du désir.                                                                                                                            

Lol ira plus loin en retournant dans le casino, lieu de l’abandon et dans une chambre avec Jacques Hold mais le passage à l’acte, là encore, ne servira pas plus à réaliser un désir.

Cet échec de la perversion aussi bien dans la tentative de maîtrise du jeu pervers à distance que  dans le passage à l’acte conduit à s’interroger sur l’échec de la genèse des fantasmes :

Si l’on reprend le premier schéma freudien métapsychologique dans pulsions et destins des pulsions (1915) concernant les couples voyeurisme/exhibitionnisme et sadisme/masochisme :

Les pulsions y subissent un double destin : renversement en son contraire (activité en passivité)et retournement sur sa propre personne :

Le schéma A illustre le passage du registre du besoin à celui de la sexualité et du fantasme :

 

  1. REGARDER :        Activité dirigée sur un objet étranger      VOYEURISME 

     

  2. 1-Abandon de l’objet =retournement de la Schaulust sur une partie de son propre corps.

       2-Renversement de l’activité en passivité=être regardé.

     

  3. Introduction d’un nouveau sujet = pour être regardé par lui           EXHIBITIONNISME.

     

    Le stade B est le passage du registre vital du besoin au registre sexuel du fantasme. L’objet perdu doit être fantasmé dans son propre corps dans un but autoérotique. Les trois conditions d’apparition du fantasme sont l’abandon de l’objet de la réalité pour ses équivalents fantasmatiques et symboliques dans l’histoire du sujet, le retour de la pulsion sur son propre corps et le renversement en passivité. Intervient ensuite l’autre dans la genèse du fantasme.Ce schéma s’applique au sadomasochisme avec hypothèse d’un sadisme originel.

    Dans le cas de la perversion, le sujet tente d’inverser le processus dans un but subversif pour sauter à rebours du stade C au stade A en inversant le processus d’étayage qui équivaut à un déni de l’autre en sa fonction imaginaire et symbolique et à un retour au besoin vital.

    Lol V Stein regarde : elle ne fait pas le travail d’abandon de l’objet, ne se sent jamais regardée vraiment si ce n’est qu’elle  laisse sa présence être devinée tout au plus comme une forme dans le champ, elle n’existe pas par le regard de l’autre. Ni voyeuse, encore moins exhibitionniste, la question néanmoins du masochisme se pose quoique sa souffrance ne lui procure aucune jouissance. Son arrêt sur image empêche ses affects de circuler librement.

    Peut-on parler d’un échec de l’autoérotisme ?

    Peut-on parler d’une incapacité  à jouer au jeu de la bobine ? L’absence et la présence de l’objet désiré ne sont plus clairement distinguées encore moins maîtrisées.

    La genèse du fantasme est bloquée : on pourrait parler de fantasme sans contenu, de fantasme contenant.

    Le fantasme de la scène primitive est dans la psychose blanche  tel que le sujet ou bien ne se sent jamais naître faute d’accepter la rencontre sexuelle des parents ou bien s’il est né  ne peut exister qu’en tant que mauvais objet à détruire. Détruire pourrait dire Lol.

    La question de l’hallucination négative de la mère dans l’identification primaire se pose ici devant l’importance du trouble de l’identité.

    Les identifications projectives sont au cœur du fonctionnement de Lol.                                

    Les identifications sont tellement floues et brouillées qu’inefficaces pour accéder à la jouissance.

    Deux hommes (Michael Richardson, Jacques Hold) et trois femmes (Anne-Marie Stretter, Lol V.S.Stein, Tatiana Karl) formeront quatre couples (LVS/MR, AMS/MR,TK/JH,LVS/JH) .

    Les maris peuvent être considérés comme secondaires (Pierre Beugner, Jean Bedford).

    Dans le fantasme s’ajoutent : la mère, la mendiante, les frères, le père donc les couples suivants : Mère/Pierre, Marguerite/Paul, la mendiante et sa fille.

    Le couple père/mère est enfoui sous les identifications multiples.

    Que Lol  regarde du champ de seigle ? On pense immédiatement à la scène du bal mais :

    Lol s’identifie à Tatiana et non à AMS .Omission de la  jalousie Oedipienne.

    Elle n’identifie pas JH à MR ou refuse cette identification:« Ce n’est pas que je ressemble à Michael Richardson ? »demande JH. « Non,ce n’est pas cela, je ne sais pas ce que c’est ».(p.115).

    Il y a une identification homosexuelle à Tatiana /Hélène Lagonelle, l’amie d’enfance avec qui elle dansait plus jeune dans le préau donc à la mère .Mais le couple mère /Pierre a remplacé très tôt le couple mère/père en miroir avec un autre couple incestueux Marguerite/Paul. Si MR est Paul, il l’abandonné, comme le père .Marguerite a été abandonnée trop tôt comme Aurélia Steiner et retrouvera en Yann Andréa « Steiner » son père/frère incestueux.

    Ces jeux identificatoires de miroirs sans tain multiplient les identifications projectives. L’écran du bal cache une scène originaire déformée : identification homosexuelle primaire à la mère (Anne-Marie Stretter et sa fonction maternelle) et identification de Michael Richardson (l’homme fait sur mesure qui abandonne) au père mort .

    Les traumatismes multiples de l’enfance (départ de la mère malade puis du père malade,  départ à la guerre, mort du père, dépression de la mère, ruine et violence de la mère et du grand frère…)  se condensent derrière cette scène écran.                                                                                                                              

    IV. Le retour à T.Beach : échec de la catharsis. Elle tente de ravir Jacques Hold à Tatiana.

    1-Le retour au casino :

    Lol n’est plus déprimée en apparence et même dysphorique : elle baigne dans la joie de retourner à T.Beach. Elle a essayé d’y aller la veille seule mais est restée dans la salle d’attente de la  gare de S.Thala où la mer et la plage vide se reflétaient dans la glace. Elle   a pris le premier train pour revenir. Elle ne peut y aller qu’avec Jacques Hold. Faire ce voyage qu’on l’empêche de faire depuis dix ans.

    « Le bal sera au bout du voyage, il tombera comme un château de cartes comme en ce moment le voyage lui-même ».

    Le casino : « d’une blancheur de lait, immense oiseau posé, ses ailes régulières bordées de balustrades, sa terrasse surplombante, …ses fleurs, ses anges…sa blancheur toujours de lait, de neige, de sucre… ».

    Elle rit de reconnaître le casino. Mais c’est une reconnaissance formelle, pure, calme, amusée. On la sens presque discordante et dissociée.

    L’après-coup :« Le souvenir proprement dit est antérieur à ce souvenir, à lui-même. Elle a d’abord été raisonnable avant d’être folle à T.Beach. »Cette phrase rappelle celle du début du roman : « Tatiana ne croit pas au rôle prépondérant de ce fameux bal de T.Beach dans la maladie de Lol V.Stein. ».                                                                                                                                   

    Jacques Hold n’est pas dupe du jeu stérile de la réminiscence .Il lui dit : Cette ville ne vous servira à rien.

    LVS -De quoi je me souviendrais-je ?

    Pourtant Lol rit « enchantée par ce jeu de revoir .Elle rit  parce qu’elle cherche quelque chose qu’elle croyait trouver ici et qu’elle ne trouve pas. »

    Un homme en noir lui indique la salle de la Potinière et soulève un rideau.

    « Aucune trace, aucune, tout a été enseveli, Lol avec le tout ».

    L’homme allume mais Lol crie et éteint .Il a reconnu Lol, l’infatigable danseuse de dix-sept ans.

    Lol s’allonge sur la plage. Elle a faim, elle baîlle, elle a sommeil. Jacques Hold joue avec sa main : sous l’alliance la peau est plus claire et fine : elle porte la cicatrice de la bague de fiançailles.

    Mais Lol ne sait rien atteinte d’une « mortelle fadeur de la mémoire ».

     

    2-L’hôtel de T.Beach.

    Jacques Hold nie la fin qui va les séparer : «car du moment que je la nie, celle-là, j’accepte l’autre, celle qui est à inventer, que je ne connais pas, que personne encore n’a inventée :la fin sans fin, le commencement sans fin de Lol V.Stein. »

    Lol est d’une tristesse abominable. Elle reste nue immobile. Pense que la police est en bas, qu’on bat des gens dans l’escalier. Ne reconnaît plus Jacques Hold. Ses caresses lui font mal. Elle est à la fois Lol V.Stein et Tatiana Karl.

    A nouveau aux confins du délire, elle est plus dépersonnalisée qu’identifiée à Tatiana ce qui lui interdit l’accès au plaisir.

    Le lendemain matin elle parle de Michael Richardson et rappelle à Jacques Hold qu’il a rendez-vous avec Tatiana à l’Hôtel des bois.

    3-Dans le champ de seigle elle est la première  arrivée mais endormie, fatiguée par le voyage.

    Après le double échec de la tentative perverse : celle d’être le metteur en scène à distance des fantasmes puis d’en être l’actrice , elle préfère revenir à la place de celle qui regarde mais cette fois  endormie donc totalement  absente comme un corps mort dans le champ.

    Dans une version précédente, une ambulance devait emmener Lol sirènes hurlantes. Marguerite DURAS a gommé cette fin.

 

La maladie de Lol V. Stein:

« Il aurait fallu murer le bal, en faire ce navire de lumière sur lequel chaque après-midi Lol s’embarque mais qui reste là dans ce port impossible, à jamais amarré et prêt à quitter, avec ses trois passagers, tout cet avenir-ci dans lequel Lol V. Stein maintenant se tient. »

Dès la première page, on ne sait rien sur son enfance : un père était professeur à l’Université. Ses parents morts. Un frère plus âgé de neuf ans mais jamais vu. Sa mère l’accompagnera au bal. Elle mourra plus tard mais cette mort laissera Lol sans larme. Elle est d’emblée présentée comme dépersonnalisée, absente, indifférente, dépressive et narcissique : il manquait déjà (même avant le bal) quelque chose à Lol pour être là. « Elle donnait l’impression d’endurer dans un ennui tranquille une personne qu’elle se devait de paraître mais dont elle perdait la mémoire à la moindre occasion ».

Gloire de douceur mais aussi d’indifférence, on ne l’avait jamais vu pleurer. Jolie, elle plaisait mais elle vous fuyait des mains comme l’eau. « Drôle bien qu’une part d’elle-même eût été toujours en allée loin de vous et de l’instant…Où ? Dans le rêve d’adolescent ? Non, on aurait dit dans rien encore, justement rien. » C’est le cœur qui n’était pas là, c’était cette région du sentiment qui chez elle n’était pas  pareille.

Le coup de foudre « cette folle passion » de Lol pour Michael Richardson reste un mystère. » Lol ne faisait-elle pas une fin de son cœur inachevé ? …Cette crise et Lol ne faisaient qu’un depuis toujours. »  Elle ne parlait que pour dire qu’il lui était impossible d’exprimer combien s’était ennuyeux et long, long d’être Lol V.Stein. ».

Ce tableau de dépression anaclitique est néanmoins teinté de bizarrerie, d’étrangeté. L’hypothèse suivie le long de cet exposé est celle de la psychose blanche :

Pensée paralysée : fourmillement frappé de stérilité une fois la déambulation terminée.

Anesthésie affective : l’étrange omission de la douleur pendant le bal.

Blanc des représentations : le bal est une scène écran derrière laquelle se projette une scène originaire traumatique et empreinte de mort. La répétition des traumatismes infantiles  condensée et déplacée fait de cette scène un rêve plus qu’un événement.

Par la fenêtre, Lol regarde dans le cadre la répétition de la scène originaire qu’elle n’arrive pas à se représenter : une représentation d’absence de représentation. Le texte fourmille de mots négatifs : vide, rien, trou, absence, silence. Lol est plusieurs fois au bord du délire mystique avec retour dans le ventre maternel de Dieu. Lorsqu’elle sort de sa dépersonnalisation, elle retrouve transitoirement un corps, un nom entier et une volonté grâce à Jacques Hold qui la tient. Elle devient alors presque perverse en croyant agir à distance sur les fantasmes de Jacques Hold et de Tatiana mais les identifications sont trop floues et l’accès à la jouissance est barré. Le retour « sur les lieux du crime »est aussi un fiasco. Il y a donc échec de la tentative de  perversion et retombée dans la psychose. Il existe une forte déliaison pulsionnelle et un échec de la genèse du fantasme qui reste sans contenu.

Echec de la perversion, échec du délire (de l’hallucination positive), le travail à l’œuvre est celui du négatif : anesthésie des affects, hallucination négative de la scène originaire, paralysie de la pensée caractéristique de la psychose blanche.

 Lol V.Stein  ne ressent pas l’inquiétante étrangeté de l’angoisse de castration, ne voit pas la différence des sexes, appartenant au genre neutre « blank », ne peut investir l’autre comme objet de désir et ne peut s’identifier que dans le flou. La genèse de ses fantasmes est bloquée. Son accès au plaisir est impossible.  Lol en regardant n’y voit que du blanc dans un miroir sans tain, dans une fenêtre vide mais néanmoins avec un cadre. « Ravie », elle est figée, morte-vivante devant une scène d’abandon et d’amour mort. Même sa mélancolie pourrait être qualifiée-au risque d’un nouvel oxymore- blanche. Cette dépression anaclitique ne peut même plus être guérie par le retour de l’objet d’étayage. Incapable de jouer au « Fort-Da », Lol ne distingue plus l’absence de la présence de l’objet perdu. Sa  dépression serait plus justement qualifiée de narcissique, la  psyché étant confrontée à une double impossibilité : celle du  deuil impossible et celle du retour hallucinatoire de l’objet devenu lui aussi impossible. L’objet du désir a disparu dans le blanc.

Particulièrement dans Détruire dit-elle, la Maladie de la mort, Aurélia Steiner « un nom sans sujet » et le Ravissement de  Lol V.Stein « qui se tait faute de l’existence de ce mot-trou, mot-absence » ,  l’écriture apparaît comme un travail du négatif à l’instar de l’amour :aimer un mort, revivre l’abandon affectif  de la mère. 

Aimer, c’est toujours aimer son premier amour mort :

La Française d’Hiroshima mon amour aime l’Allemand mort à Nevers et confond le corps de son nouvel amant avec le cadavre de l’Allemand qu’elle avait recouvert de son propre corps et dont elle avait goûté le sang. « Il est devenu froid peu à peu sous moi. Ah ! Qu’est-ce qu’il a été long à mourir…Le moment de sa mort m’a échappé puisque…je n’arrivais  pas à trouver la moindre différence entre ce corps mort et le mien ».

Anne Desbaresdes  dans Moderato Cantabile est fascinée par cette femme assassinée par son amant dans le café qui ne peut, la bouche tachée de sang, se détacher de son corps mort.

Aurélia Steiner se donne aux jeunes marins du port en pensant à son père mort.

Aimer l’autre vivant et dans sa différence sexuelle, ce serait renoncer à l’attente infinie de l’amour maternel.

« Elle appelle le meurtre cependant qu’elle vit. Vous vous  demandez comment la tuer et qui la tuera. Vous n’aimez rien, personne, même cette différence que vous croyez vivre vous ne l’aimez pas. Vous ne connaissez que la grâce du corps des morts, celle de vos semblables. ». (La Maladie de la mort)

Si DURAS écrit « La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie » c’est sans doute parce que la douleur engendrée par l’attente négative du retour de Robert Antelme des camps de concentration réveille en elle  à l’infini la douleur de l’attente de l’amour de sa mère. Puis de son père. Puis de son frère…Aimer, c’est revivre la succession de traumatismes infantiles de mort et d’abandon. C’est ce que Lol essaie de représenter dans la scène du bal à travers « l’abandon exemplaire » de Michael Richardson, c’est peut-être son inconsolable attente d’enfant, attente négative où l’amour et la mort étaient dès le début condensés.    Souvenir-écran, scène écran, écran blanc de projection de cinéma, page blanche d’un livre à écrire, séance blanche, blancheur de la mer, blancheur de la neige et du sein.

Comme Virginia WOOLF dans « Les vagues », devant les turbulences blanches de la mer, Marguerite DURAS évoque  l’écriture négative : « C’est à Trouville que j’ai arrêté dans la folie le devenir de Lola Valérie Stein…C’est à Trouville que j’ai regardé la mer jusqu’au rien…[…] Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. Etre sans sujet de livre, sans aucune idée de livre c’est trouver, se retrouver devant un livre. Une immensité vide .Un livre éventuel .Devant rien…Je crois que la personne qui écrit est sans idée de livre, qu’elle a les mains vides, la tête vide, et qu’elle ne connaît de cette aventure du livre que l’écriture sèche et nue, sans avenir, sans écho, lointaine, avec ses règles d’or, élémentaires :l’orthographe, le sens. » Ecrire, p. 24).

Dans Les mains négatives, DURAS reprend la métaphore de l’empreinte négative, du moulage  qui ne permet aucune élaboration si ce n’est celle de se glisser dans un moule et de s’y figer : « On appelle mains négatives les peintures de mains trouvées dans les grottes magdaléniennes de l’Europe Sud-Atlantique. Le contour de ces  mains- posées grandes ouvertes sur la pierre- était enduit de couleur. Le plus souvent de bleu, de noir. Parfois de rouge. Aucune explication n’a été trouvée à cette pratique. »   On retrouve le cadre, le contour qui circonscrit un vide, une absence : les mains de morts.

Ecrire, c’est vivre  la douleur jusqu’au silence, jusqu’à l’implosion des affects, jusqu’à la destruction interne, jusqu’à la maladie de la mort : « Ecrire, c’est un non-sens .C’est aussi ne pas  parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit ». (Ecrire, p. 34)

Pousser un cri blanc?

 DURAS roches noires

 

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